A l’initiative de l’Institut du Monde Arabe, plusieurs théâtres participent à la 1ère édition du Festival Le Printemps de la danse arabe en programmant un ensemble de spectacles de danse sur le thème du corps comme forme d’expression artistique et citoyenne dont :
Tajwal Solo chorégraphique de et par Alexandre Paulikevitch.
Avant d'assister au spectacle "Tajwal" d'Alexandre Paulikevitch, on aura pu découvrir ou redécouvrir des extraits de comédies musicales égyptiennes dans lesquelles était pratiquée la "danse du ventre", mot générique et réducteur pour désigner le genre "baladi" que pratique justement Alexandre Paulikevitch.
La plupart du temps, on y retrouvait la très charmante et charismatique Samia Gamal, dansant parfois pour son partenaire fétiche, le fameux Farid-El Altrache.
Moment réjouissant d'un passé glorieux, ce rappel de ce que fut la danse du ventre dans le cinéma des années 1950 confirmait aussi pourquoi Alexandre Paulikevitch n'aime pas qu'on réduise la danse qui lui est chère à cette simple expression caricaturale.
Il faut dire que la transition était brutale avec ce qu'il exprime dans "Tajwal". D'emblée, la césure est claire : il arrive nu dans la pénombre de la scène. Puis dans une première partie de toute beauté, l'homme à l'abondante chevelure crépue revêt une robe rouge au long drapé.
Sur la musique de Jawad Nawfal, il réalise un mouvement qui rappelle effectivement la traditionnelle "danse du ventre", mais il l'emporte dans une dimension moins prosaïque, plus éthérée, avec de fortes réminiscences de la danse papillon de Loie Fuller.
En contrepoint, une voix off, celle de Yasmine Hamdan, assène des mots non équivoques dont la crudité apparaît au surtitrage. On comprend qu'il s'agit d'un hymne à la tolérance sexuelle, à l'infamie qui peut être fait aux homosexuels ou aux femmes sexy traversant la ville.
Dans le second mouvement de sa pièce dansée, Alexandre Paulikevich, revenu dans une tenue moulante grise, travaille surtout sa danse à partir de ses longues mains et poursuit cette description de ce qu'un corps d'homme comme le sien peut susciter dans une ville arabe comme Beyrouth.
Hymne à la résistance contre les tabous, mise en forme de la résilience pour une société telle que la société libanaise ayant traversé cinquante de déchirures confessionnelles et de guerres civiles ou importées, Tajwal s'achève dans la fumée. Alexandre Paulikevitch, enfermé, presque étouffé, dans une combinaison qui le laisse apparaître comme mutilé, est au sol perdu dans une brume blanche.
Métaphore de l'enfermement dans une société qui navigue à vue et sans autre avenir que de s'extraire de ce brouillard, cette troisième partie décrit toute l'énergie vitaliste qu'il faut pour s'en sortir.
Retrouver l'air libre, c'est aussi ça danser et tout le travail poétique d'Alexandre Paulikevitch dans "Tajwal" se regarde aussi comme une féérie, qui part du trivial pour un ailleurs encore à construire, mais sans doute meilleur que le constat de départ.
Optimiste, jamais vraiment provocateur volontairement, Alexandre Paulikevitch a rénové le "baladi". Ce n'est plus le corps de la femme arabe qui en est le centre, mais son esprit qui imprègne son déroulé pour aboutir à une autre manière d'être charnel et d'être saisi dans la transcendance de la danse.
Pour le dernier jour du "Printemps de la danse arabe", un programme éclectique était proposé aux amateurs de danse, avec trois pièces de grande intensité mais conceptuellement très différentes.
Hadra Solo chorégraphique conçu et dirigé par Alexandre Roccoli et interprétée par Yassine Aboulakoul.
Les spectateurs étaient conviés à faire cercle dans la "Salle du Haut Conseil" pour assister à "Hadra", une pièce conçue par Alexandre Roccoli à l'intention du danseur Yassine Aboulakoul.
Inspirée des danses de possession pratiquées au Maroc par les célèbres confréries gnawa, "Hadra" ne s'en tient pas là et, allie à ces traditions séculaires les acquis des danses urbaines comme le hip-hop. Ce moment profondément intense opère une fusion convaincante entre passé et modernité.
Yassine Aboulakoul est initialement au centre du cercle formé par ses spectateurs assis en tailleur. Il est allongé, immobile, presque gémissant. En se contorsionnant imperceptiblement,il fait naître un geste, puis un autre : la danse prend forme. Et le voilà debout, maîtrisant encore mal son corps et pouvant foncer jusqu'à la limite formée par ses spectateurs.
Puis s'effondre, revient à sa proposition primale, avant de la dompter pour enfin, au bout de transes très physiques où l'on vit saillir ses muscles, ses yeux s'écarquiller au maximum, sa bouche s'ouvrir pour laisser échapper un cri silencieux. Il est de nouveau debout, maître de sa danse, effectuant des mouvements hip hop.
"Hadra" montre la naissance d'un art qui passe de l'esprit au corps et de l'esprit au corps. Tout près de l'artiste, découvrant son corps en nage et son esprit en ébullition, le spectateur participe à sa façon à ce moment magique et fusionnel. La performance de Yassine Aboulakoul dépasse celle d'un simple danseur. Il est la danse et Hadra est en lui.
Heroes, prélude
Pièce choregraphique conçue et mise en scène par Radhouane El Meddeb inetrprété par Aston Bonaparte, William Delahaye, Arnaud Duprat, Kim Evin, Annabelle Kabemba , Smaïl Kanouté, Brice Rouchet, Dimitri Vandal et Youness Aboulakoul.
Bien différente d'"Hadra", pièce pour un seul danseur, "Heroes, prélude", œuvre de Radhouane El Medded présentée dans l'auditorium, rassemblait huit danseurs, parmi lesquelles une seule danseuse, dans des tenues très colorées pour s'égayer sur des musiques répétitives et elles aussi très colorées de Ravi Shankar et Philip Glass.
Très rythmée, la danse proposée par le chorégraphe est un pur moment de divertissement, de gaité et l'on suit huit corps hautement maîtres de leurs gestuelles capables de s'éviter dans un espace très réduit. Cette manière de danser dans une promiscuité absolue et d'être dans le même temps capable de ne pas se toucher nécessite une très grande attention surtout quand la performance dure une vingtaine de minutes.
Cette rigueur dans les mouvements n'aboutit cependant pas à une prestation mécanique. Au contraire, les huit danseurs semblent évoluer dans leur carré noir minuscule tout en joie dans une atmosphère qui rappelle les chorégraphies des troupes jouant des comédies musicales.
On ne peut qu'être séduit par le travail harmonieux réalisé par Radhouane El Meddeb.
Mother Tongue
Performance-solo de Pierre Geagea.
Quant à "Mother Tongue", chorégraphie de Pierre Geagea, elle aussi proposée à l'Auditorium, elle avait une dimension volontairement initiatique puisqu'elle alliait danse et langage des signes.
Feu follet gracieux, accompagné par deux guitaristes électriques, Shariff Sehnaoui et Tony Elieh, Pierre Geagea emprunte la langage des signes et en fait un mouvement de ses mains qu'il harmonise à sa danse bondissante. Né sourd, il ne cherche pas à "jouer" de son handicap. Tout au contraire, il crée du ryhtme, impulse de la beauté en s'affranchissant du son électrifié qui, lui, parvient au spectateur.
Moins spectaculaire que les deux précédentes pièces, "Mother Tongue" vaut d'abord par la délicatesse du mouvement montré. Tout en intériorité, l'artiste fait ressentir sa différence et exprime dans le même temps tout le bonheur qu'il a de s'en extraire par la danse et ainsi rejoindre "l'autre monde". |