Comédie dramatique écrite et mise en scène par Anne-Cécile Vandalem, avec Vincent Cahay, Anne-Pascale Clairembourg, Epona Guillaume, Séléné Guillaume, Pierre Kissling, Vincent Lécuyer, Catherine Mestoussis, Jean-Benoit Ugeux, Anne-Cécile Vandalem, Françoise Vanhecke et Alexandre Von Sivers.
Partant du postulat que l'attristement des peuples, en référence à la tristesse définie par le philosophe Gilles Deleuze comme la diminution de la puissance d'agir, constitue l'une des plus redoutables armes politiques contemporaines, et du constat du renforcement des nationalismes et de la progression en Europe des scores électoraux des partis d'extrême droite, Anne-Cécile Vandalem a élaboré, à partir d'un fait divers qualifié d'histoire vraie, la partition de "Tristesses" comme un "deux-en-un", une comédie pathétique sur la médiocrité humaine, terreau fertile des extrémismes populistes, et une pseudo-dystopie politique. Et elle signe une singulière partition mosaicienne à plus d'un titre.
En effet, celle-ci ressort au théâtre dit "total", dans l'acception du manifeste des auteurs dramatiques futuristes, caractérisé par la convergence de différents arts et techniques.
Car elle convoque les codes du théâtre, avec une structure en tableaux, le cinéma, avec l'omniprésence de l'image-vidéo, dont notamment les scènes d'intérieur interprétées hors champ retransmises sur écran, et assorties de sous-titres... en anglais, la musique, avec une bande-son invasive interprétée en direct par Vincent Cahay et Pierre Kissling et, en sus, les chants de la soprano Françoise Vanhecke.
Ainsi que la littérature, plus précisément le roman policier du style "Nordic Noir" dont les atmosphères glauques sont posées par la scénographie de Ruimtevaarders, collectif formé par Karolien De Schepper et Christophe Engels, une minuscule place de village encadrée de maisons pâles, décor en deux dimensions qui évoque tant la bande dessinée à la ligne claire que certains tableaux de la peinture danoise du 19ème siècle, et soutenues par les lumières blanches de Enrico Bagnoli.
Par ailleurs, pour ce qui ne pourrait être qu'une fable politique en forme de chronique rurale, Anne-Cécile Vandalem opte pour une atypique hybridation pour l'ériger de manière kaléidoscopique en comédie avec des inserts burlesques, en drame social avec une pointe de fantastique qui vire à la tragédie et en illustration de la manipulation des masses à l'échelon d'un microcosme délité composé d'une parentèle d'anti-héros absolu gangrené par le désenchantement et l'immobilisme sans transcendance.
Et elle maîtrise tous ces paramètres pour immerger le spectateur dans un étouffant huis-clos ilien provoqué par l'arrivée d'une qui fût des leurs (Anne-Cécile Vandalem), fille du directeur de l'abattoir et fondateur du parti d'extrême droite (Alexandre Von Sivers) dont elle a pris les rênes, suscitée, et non seulement, par l'étrange suicide de sa mère retrouvée pendue sur le mât du drapeau national.
Ce qui met en émoi voire en panique les deux seules familles résidentes, celle du pasteur timoré (Vincent Lécuyer) et de son épouse forte en gueule (Catherine Mestoussis), et celle du maire, prototype du "beauf" machiste et retors (Jean-Benoit Ugeux) qui terrorise son épouse soumise (Anne-Pascale Clairembourg) et ses deux filles (Epona Guillaume et Séléné Guillaume).
Et, dans une intrigue à dévoilements en cascade, si ces dernières repr&sentent pour l'auteure "l’adolescence comme force vive, puissance pour le futur" inspirée le paradigme des lucioles explicité par le philosophe Georges Didi Huberman, le dénouement n'ouvre guère sur l'espérance.
Egalement à la mise en scène, Anne-Cécile Vandalem assure une direction d'acteur au cordeau avec de remarquables comédiens - mention spéciale à Jean-Benoit Ugeux et Vincent Lécuyer pour incarner crédiblement, respectivement, la compromission et la faiblesse de caractère caractérisant la cible populiste - qui portent avec conviction une narration nerveuse aux dialogues efficaces. |