Monologue dramatique d'après l'oeuvre éponyme de Joseph Delteil interprété par Robert Bouvier dans une mise en scène de Adel Hakim.
Panthéiste et paillard, rustique et précieux, amoureux de la bonne chère et de la belle langue, Joseph Delteil a toujours aimé les thèmes chrétiens. Sa "Jeanne", petite paysanne déterminée, pleine de malice et d'effronterie pour sauver son roi et servir son Dieu, est un réjouissant poème, un hymne à la bonne Lorraine débarrassé de toute emphase.
Delteil écrit pour les grands comme s'ils étaient encore des enfants, des innocents aimant les contes qui les font rire et rêver, leur donne envie de prier en toute simplicité au cœur d'un nature éclatante de la beauté de son créateur.
On retrouve ce ton joyeux avec son "François d'Assise", un ton qu'il faut quelque minutes pour assimiler tant il est loin du parler habituel. C'est pour cela que dans leur adaptation, Adel Hakim et Robert Bouvier prennent leur temps.
D'abord, tout commence dans le noir, et c'est peu à peu, qu'une musique s'élève et qu'apparaît celui qui sait parler aux oiseaux et converser avec eux. Sa tête bizarre paraît semblable à celle du Michel Simon jeune qui jouait précisément l'un des juges qui interrogeait Jeanne dans le "Passion de Jeanne d'Arc" de Carl Dreyer et... Joseph Delteil pour le scénario.
Son accent helvétique chantant a quelque chose d'un parler paysan qu'on imagine bien dans la bouche de François pour interpeller ses petits frères, ses premiers petits frères, ceux des "Fioretti", ceux issus de la région d'Assise, ceux que célébrait le film de Roberto Rossellini, le plus chrétien jamais réalisé par un marxiste et simplement intitulé "Les Onze Fioretti de Françoise d'Assise".
Quand Robert Bouvier entame son long monologue, on comprend d'emblée que le texte n'est pas à la portée de tous les comédiens. Il nécessite son talent pour que de ce verbe en fusion naissent des couronnes splendides de mots. Les images lumineuses qu'il formule sont des éclats de beauté que l'on reçoit avec délicatesse dans les oreilles.
Parfois chuchotant ou chantonnant, parfois hululant, rieur, feignant la gravité pour mieux s'émerveiller, l'acteur paraît vraiment porteur de la parole du petit saint qui tenta de sauver la chrétienté empêtré dans le dogmatisme et surtout l'esprit de sérieux.
Sur un muret qui parcourt la scène de part en part, il fait soudain apparaître des épis de blé. C'est ce blé qui donne la farine blanche, celle qui donne le plus beau cadeau de Dieu à sa créature raisonneuse : le pain.
Peu à peu, les spectateurs sont gagnés, envoûtés. Si on les interrogeait à ce moment-là, ils ne se souviendraient pas qu'ils sont au théâtre et que c'est un acteur de Neuchâtel qui joue à être Saint François. Robert Bouvier use de la magie de son don pour que le théâtre et la vie ne fasse plus qu'un... jusqu'au moment où il brise l'artifice, redevient le passeur sensuel d'un texte magnifique.
Libre dans la belle mise en scène de son complice Adel Hakim, il donne à la fois une leçon de théâtre et d'humanité. Ce qu'il provoque est encore du domaine de l'art du théâtre, ce mentir vrai qui recommence éternellement à chaque représentation de n'importe quel spectacle.
Que l'on croit ou que l'on ne croit pas, l'on assiste, médusé, au surgissement de la grâce qui s'accomplit le temps d'un frisson à la fois dans sa forme artistique et dans sa forme métaphysique. Des expériences comme celle-là ne se présentant pas tous les jours, il est conseillé de ne pas la rater.
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