Le 11ème album de Judith Owen, RedisCOVERed, se compose de 12 reprises, où se croisent aussi bien des classiques de Joni Mitchell ou des Beatles, le rock de Deep Purple ou de Soundgarden, le rap de Drake, le disco de Donna Summer ou la variété folk de Ed Sheeran.
C'est quand même avec un peu d'appréhension qu'on met ce disque sur la platine, tant tout ceci semble dispersé et manqué de fil directeur. Pourtant, la chanteuse gallois parvient à donner une cohérence à cet album en privilégiant l'approche piano jazz et une production très californienne à l'ensemble. L'accompagnement musical, dont le fidèle Leland Sklar à la basse, est impeccable. Mais c'est surtout la voix qui donne son sel à l'ensemble.
Nous l'avions rencontrée en mai dernier afin d'en savoir un peu plus sur les origines de ce disque, que nous vous encourageons à découvrir sur scène aux Trois Baudets à Paris le 17 septembre prochain.
Votre nom est Judith "Omen", et vous avez commencé comme enfant-star dans des films d'horreur. C'est bien cela ?
("The Omen" est le titre original du film d'horreur "La Malédiction", réalisé par Richard Donner, qui fut l'un des plus gros succès de 1976 au cinéma)
Judith Owen : (rires) Non, ce n'est pas moi. Moi, c'est Owen. La malédiction, c'était plutôt d'arriver à Paris (en raison des grèves dans les transports en mai dernier).
Comment avez-vous choisi les artistes que vous reprenez sur votre dernier album ? Parfois certaines chansons sont très connues, et parfois d'autres non.
Judith Owen : C'est d'abord comme musicienne que j'ai choisi cette chanson. Petite fille, j'étais incapable de lire une partition. J'avais une sorte de dyslexie musicale. Par contre, je savais rejouer un morceau. À ma manière, pas forcément exactement à l'identique. Mais les morceaux sonnaient bien à mes oreilles. Lorsque j'ai commencé à vivre de la musique, ça a d'abord été comme musicienne de bar. Je jouais surtout du jazz d'ambiance dans des pubs ou des restaurants, parfois pendant trois ou quatre heures heures d'affilée. Je ne jouais que des standards et j'étais complètement frustrée. Mais j'avais besoin d'argent. Alors j'ai commencé à réécrire et réarranger ces morceaux afin de me les réapproprier. La reprise est donc un exercice que j'ai pratiqué pendant longtemps.
Souvent, sur scène, dans le smooth jazz en particulier, on entend des thèmes connus qui sont repris comme ça, pour retenir l'oreille du public.
Judith Owen : Lorsque je suis partie aux États-Unis et que ma carrière a commencé à décoller, après trois albums, j'ai arrêté d'en faire, même sur scène. Mais je continuais à le faire chez moi, pour mes proches, pour m'amuser. Ce que j'aimais bien, c'était prendre des chansons rock, très masculines, pleines de testostérones, et les transformer en chansons féminines un peu sexy. Alors j'ai choisi des chansons que j'ai bien aimées ces dernières années. Hot Stuff, par exemple, je l'ai enregistré en session il y a déjà 3 ou 4 ans déjà, mais je ne la jouais pas sur scène. Par contre, pour Drake, Ed Sheeran ou Justin Timberlake, je n'ai adapté leurs chansons que l'année dernière. Je voulais des choses un peu plus contemporaines, pas seulement regarder dans le rétroviseur. J'écoute les chansons, je lis les textes, et j'essaie d'y trouver quelque chose qui parle de ma propre vie. En les interprétant, je me les réapproprie, et leur signification entre en résonance avec ce que j'ai envie de faire passer au public. Ça devient ce que moi j'ai envie d'exprimer.
En écoutant l'album, j'ai été obligé de me mettre sur youtube pour voir si je connaissais ou non, justement, ces chansons.
Judith Owen : Je le prends comme un compliment. De la scène, un de mes plaisirs consiste à regarder le public. Je trouve justement très belle l'expression sur le visage des spectateurs quand ils reconnaissent quelques notes, ou des paroles, et qu'ils cherchent à faire le lien avec quelque chose qui leur est familier.
Comment définiriez-vous votre style, qu'on ne peut pas qualifier exactement de jazz?
Judith Owen : C'est vrai que je suis un peu à la croisée, une sorte d'hybride entre le classique, le jazz et la folk. Et j'essaie aussi d'y insuffler de la soul (de l'âme). Parce que ce sont les musiques avec lesquelles j'ai grandi. Mon père était chanteur d'opéra mais, à la maison, il écoutait essentiellement des morceaux traditionnels de musique galloise et de la musique noire américaine. Du Rythm'n'Blues, du blues, de la Motown, du jazz de la Nouvelle-Orléans, beaucoup de jazz au piano, comme Oscar Peterson par exemple. Mais aussi Frank Sinatra. C'est comme si j'avais grandi avec tous ces gens fantastiques autour de moi. J'ai une formation de musicienne classique à la base, mais élevée dans le jazz, et avec la mélancolie du Pays de Galles qui coule dans mes veines.
Est-ce que votre père avait dû voyager pour découvrir tout ça ?
Judith Owen : En fait non. Il trouvait ses disques au Pays de Galles.
À l'époque, en France, c'était à travers les adaptations en français par des artistes de variété que la culture américaine se popularisait.
Judith Owen : C'était la même chose en Angleterre. Les artistes britanniques des années 60 ont été les rois pour reprendre les chansons interprétées à l'origine par des noirs américains et réussir à les refourguer aux États-Unis. Et j'ai eu de la chance, mon père écoutait vraiment les artistes originaux. Il écoutait même des artistes des années 20 ou 30. C'était un collectionneur de disques. C'est grâce à lui que j'ai acquis la culture musicale qui m'a permis de développer mon propre style.
Lorsque vous écoutez un autre artiste faire une reprise, qu'est-ce qui vous fait dire c'est une bonne reprise ou une mauvaise reprise?
Judith Owen : Hier soir, je participais à une émission, sur Sud Radio, en même temps que Laila Biali. C'est une chanteuse et pianiste canadienne que j'admire beaucoup. Je l'écoutais et je suis restée estomaquée lorsqu'elle a interprété Yellow de Coldplay. Elle a emmené la chanson tellement loin. Ce n'était plus la même chanson et pourtant c'était toujours la même chanson. Ou, par exemple, il y a James Taylor. On connaît ses chansons et on a l'impression que c'est lui qui les a écrites, alors que c'était Carole King. C'est vraiment l'exemple de quelqu'un qui s'approprie des chansons et les fait coller à sa propre vie. C'est incroyable lorsque quelqu'un parvient à faire ça. C'est le cas aussi pour la version de Nothing Compares 2 U que Sinéad O'Connor a enregistré. Elle met tellement d'elle-même dans cette chanson qu'on n'imagine pas que l'originale a été écrite par Prince. Je trouve ça beau et émouvant lorsque quelqu'un arrive à se glisser entièrement dans les paroles de quelqu'un d'autre. Personne ne fera jamais aussi bien que l'originale, mais certains réussissent à se réapproprier entièrement la chanson de quelqu'un d'autre. Ça s'entend tout de suite, et ça n'a rien à voir avec une reprise facile et fainéante qu'on repère tout aussi facilement.
Il y a 2 ans, Bryan Ferry vous avait emmené comme première partie de sa tournée mondiale. Il a lui-même fait beaucoup de reprises. Laquelle préférez-vous?
Judith Owen : (après une longue hésitation) J'aime sa version de Smoke Gets In Your Eyes. Elle lui convient parfaitement pour son côté élégant. C'est une chanson stylée reprise par un styliste. Elle convient à son look, à sa personnalité, à sa classe naturelle. C'est presque comme si c'était la chanson qui l'avait choisi.
Encore une fois sur cet album vous êtes bien entourée. Pouvez-vous nous parler de vos musiciens?
Judith Owen : Avec grand plaisir, parce que je considère vraiment comme une chance que ces gens fassent partie de ma vie. Il y a d'abord Leland Sklar, qui a travaillé avec James Taylor, Jackson Brown, Joni Mitchell... il a travaillé avec plus de 2000 musiciens. Et là, il est de nouveau en train d'enregistrer avec Phil Collins. C'est un musicien extraordinaire qui joue à l'instinct et avec son coeur. La première fois qu'on s'est rencontré, il jouait de la basse sur scène avec mon mari, Harry Shearer (alias Derek Smalls, de Spinal Tap). Ça a été un coup de foudre musical. Je lui ai demandé s'il voulait bien participer à mon album, qui était une sorte de lettre d'amour adressée à Laurel Canyon. Je me rappelle, quand j'étais petite, je chantais des chansons de Carole King et James Taylor dans le jardin et, sur les disques, c'était Leland Sklar qui tenait la basse. Et aussi Russ Kunkel à la batterie. Il m'a tout de suite comprise. Quand je m'assois au piano, il m'écoute un peu et sait tout de suite où je veux aller. Sur cette tournée, il y a aussi Pedro Segundo, qui est un percussionniste génial, qui joue du classique et a aussi son propre groupe de jazz. Ces deux musiciens ont des points communs avec ma propre histoire. Pour moi, jouer avec eux, c'est comme converser avec des amis.
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