Cruel Summer
Le journaliste rouennais Jean-Emmanuel Deluxe (Rock & Folk, Citizen K, Schnock...), auteur de nombreux ouvrages fantasques et érudits autour de la pop (Les ovnis de la pop, Bubblegum & Sunshine Pop, Yé-Yé Girls of '60s French Pop) nous livre son dernier ouvrage Beach Boys, un été sans fin, aux éditions Atlantica, en cet été 2018. Témoignage tendre et passionné sur les légendaires California boys.
"Une histoire qui pourrait commencer ainsi : il était une fois, trois frères d’Hawthorne, triste banlieue résidentielle, qu’ils allaient quitter grâce à leurs voix angéliques et aux doigts d’or de frère Brian. Derrière les palmiers, les vagues et les planches de surf, la mort rôdait."
Préfacé par Sean O’Hagan (Microdisney, High Llamas) qui fut à deux doigts d’intégrer le groupe dans les années 80, Jean-Emmanuel Deluxe commence les présentations avec Murry Wilson, géniteur de la fratrie. Murry, musicien raté, n’est pas ce que le rêve américain pourrait appeler un daddy cool. Violent, autoritaire, despote. Un bon psy y trouverait à n’en pas douter les racines du mal dont Brian souffra toute sa vie. Murry rêvait d’un groupe country-folk, banjo et pendletones (chemises à carreaux rouges et noires des bûcherons) qui fut d’ailleurs sans que l’histoire s’en souvienne le premier nom du groupe. Mais les gamins de Californie rêvaient de plages, de filles, de roadsters et de surf culture.
Eté 63, premier single, A-side anodine ("409"). Mais par bonheur pour les 5 boys, les dj-s de l’époque prirent le temps d’écouter la face B "Surfin' USA". La légende démarre...
Le groupe se retrouve à la tête des charts, trustant les premières places et traverse une période de deux années autant marquées par le tourbillon de la gloire que par la boulimie de travail que s’impose Brian. En deux ans de temps (63-65), il composera et produira la bagatelle de huit albums, ce qui fera dire à sa femme Marylin que "Brian ne vivait plus dans la réalité mais dans un monde imaginaire", le génie commençant à montrer des signes comportementaux étranges.
Le grand tournant de la carrière du groupe survient avec l’enregistrement du légendaire Pet Sounds, monument monomaniaque de Brian qui lui permet d’être consacré par l’Histoire en tant que génie absolu et l’affranchit de ses frères et autres membres des Beach Boys. "Les autres Beach Boys sont devenus les jouets de Brian". L’ouragan sonore de Pet Sounds est tel qu’il fera dire à Mike Love "qui va écouter cette merde !".
On ne saura jamais si Pet Sounds est l’ultime digue à s’effondrer dans le cerveau torturé de Brian. Pet Sounds confirme à l’entourage de Brian qu’il ne va pas bien et qu’il n’ira plus jamais bien... Défoncé aux acides, boulimique, reclus chez lui, ne recevant ses rendez-vous que dans sa piscine, disparaissant des jours entiers, se sentant persécuté, envoûté et espionné par Phil Spector, il s’enfonce dans une paranoïa inexorable qui mettra autant sa vie en danger que sa musique et son génie. Seul Van Dyke Parks parviendra à retrouver la substance créatrice de Brian, avec l’arlésienne Smile en 66, abandonné par Capitol et qui verra finalement le jour lors d’un concert à Londres en 2004. Les deux hommes sont toujours proches à ce jour.
Passées les glorieuses 60’s, le groupe surfera sur les hauts et les creux de la vague, certains membres voulant insister dans la marque de fabrique sonore ayant fait leur gloire, tandis que Brian imperméable à toute forme de lucidité et de conformisme, préférant laisser son imaginaire s’envoler dans les limbes de ses inspirations et créations intimes géniales ou dispensables.
Jean-Emmanuel Deluxe a la bienveillance de ne pas s’attarder sur la période sordide que connut Brian avec le charlatan docteur Landy, épisode de la vie de Brian raconté dans le film de Bill Pohlad sorti en 2015.
Le groupe saluera une ultime fois son public en juin 80 à Knebworth, débranchant définitivement leurs micros lors d’un concert privé en 83 à la White House en l’honneur de Reagan (sic). La fin des années 80 se résumera en un affrontement musical entre les Beach Boys moins Brian avec le très médiocre "Kokomo", OST du film Cocktail et le Brian moins les autres Beach Boys sur le génial LP Love and Mercy, ce qui pourrait finalement résumer l’histoire interne du groupe.
Brian est en 2018 l’unique survivant de la fratrie, ce qu’aucun bookmaker n’aurait parié.
Telle fut la vie des Beach Boys, "un groupe qui avait plusieurs compositeurs exceptionnels hormis Brian, dont Carl et Dennis" dixit Sean O’Hagan.
Jean-Emmanuel Deluxe nous livre un témoignage passionnant et passionné sur la vie extraordinaire de ses cinq gamins finalement bien ordinaires, et nous invite à prolonger l’été sans fin.
"Même si Brian n’enregistra plus de chefs-d’œuvre, il nous reste suffisamment de merveilles, dont certaines sont encore oubliées sur des étagères pour illuminer toute une vie. Alos encore une fois merci, Carl, Dennis et Brian pour la musique". |