Réalisé par Anja Kofmel. Suisse/Croatie/Allemagne/Finlande. Animation. 1h25 (Sortie le 3 octobre 2018).
La réalisatrice Anja Kofmel avait un héros dans son enfance : Christian Würtenberg, son cousin. Jeune et intrépide, il a déjà parcouru le monde, de la Laponie, la Thaïlande à la Namibie avant même d'être journaliste.
Quand éclate la guerre de Yougoslavie dans les années 1990, il est devenu officiellement journaliste et va couvrir un conflit atroce et fratricide... Mais tout s'arrête au siège de Vukovar : il est retrouvé mort à 30 kilomètres de la ville en 1992.
"Chris the Swiss" d'Anja Kofmel pourrait n'être que l'histoire d'un Tintin Suisse idéalisée par sa cousine. Sauf que les choses sont beaucoup moins simples qu'il n'y paraît. Christian Würtenberg a franchi la frontière tentante entre suivre une guerre et y participer.
D'ailleurs, il n'est pas mort d'une balle perdue, mais étranglé. Car, comme quelques autres, il a rejoint un groupe para-militaire croate, un groupe connu pour ses exactions, un groupe qui ne reculait pas devant l'assassinat de civils, des blessés, des prisonniers...
Avant "Chris the Swiss", Anja Kofmel avait déjà consacré un court métrage d'animation à son cousin en 2009 ("Chrigi"). Dans son long, elle va aussi largement utiliser l'animation, reconstituant subjectivement des passages de la vie de Chris, ceux où il est devenu un "chien de guerre", ceux qui vont le mener à cette mort sale à 28 ans.
Documentaire au sujet fort et à la forme très travaillée, "Chris the Swiss" d'Anja Kofmel plonge le spectateur dans une des pires guerres de la fin du vingtième siècle, tente d'expliquer pourquoi Chris s'est jeté à corps perdu dedans et montre les conséquences de ses actes inexcusables sur une famille qui, plus de vingt ans après, en est encore meurtrie.
Menant une enquête aux quatre coins du monde, interrogeant les témoins de l'époque, Anja Kofmel aboutira à de surprenants résultats qui mériteraient de faire basculer la sortie de son film dans les pages politiques ou internationales...
Car Chris, qui était passé par l'Afrique du Sud et la Namibie avant de devenir journaliste, était peut-être un agent d'une puissance étrangère... C'est ce que suggère Carlo Illitch Ramirez - oui, le fameux Carlos - interrogé du fond de sa geôle, et qui éclaire sur les raisons de son exécution.
Plusieurs hypothèses parcourent le film, mais Anja Kofmel remonte une piste principale en suivant la trace du chef du groupe de mercenaires dans lequel s'était rangé son cousin.
Ce Bolivien qui se faisait appeler "Chico" aura une mort violente, lui aussi, tué par la police de son pays où il était rentré en 2009 pour fomenter un attentat contre le président Morales. Membre probable de l'Opus Déi, il aurait été mandaté par celle-ci pour rendre impossible la réconciliation entre chrétiens et musulmans dans la Yougoslavie finissante...
Anja Kofmel, rappelant que l'Opus Déi est le bras armé du Vatican, s'interroge même fugacement sur le rôle tenu par le pape de l'Est, Jean-Paul II, dans tout cela, et notamment dans la mort de son cousin. Chris en savait-il trop ? Aurait-il révélé le rôle de l'Homme en blanc ? Jouait-il un double-jeu ou un jeu tellement compliqué qu'il n'y avait pas d'autre issue que de s'en débarrasser ?
"Chris the Swiss" d'Anja Kofmel est donc un documentaire vertigineux qui dresse à la fois le portait d'un jeune homme à l'idéalisme dévoyé et se suit pas à pas comme un roman de John Le Carré. Les dessins de la réalisatrice ajoutent paradoxalement une dimension réaliste à ce qui pourrait plus n'être qu'un fait-divers fantasmé.
Une belle réussite pour un film fort et stimulant...
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