Pour sa rentrée muséale 2018-2019, la Halle Saint Pierre présente un deuxième volet consacré à l'art brut japonais avec une sélection d'oeuvres de plus d'une cinquantaine d'artistes souffrant d'incapacités fonctionnelles, de handicaps ou de troubles mentaux dont la plupart sont pensionnaires d'institutions spécialisées. Supervisée par Martine Lusardy, directrice du lieu et commissaire attitrée, la monstration s'inscrit en résonance avec celle intitulée "Komorebi" qui s'est tenue jusqu'en janvier 2018 proposée au printemps par Le lieu unique à Nantes sous le commissariat de Mizue Kobayashi, directrice de l’institution sociale Aiseikai. Elle illustre notamment l'universalité spatio-temporelle d'un art qui n'est pas circonscrit à l'Occident car au Japon au lendemain de la seconde guerre mondiale, en parallèle avec l'émergence de la théorisation de la notion d'art brut sous l'impulsion de Jean Dubuffet, Kazuo Itoga, alors directeur de la division de l'approvisionnement à la préfecture de Shiga crée la Fondation Omigakuen ("l’Ecole Omi") consacrée à la création plastique en poterie et destinée aux enfants handicapés mentaux ainsi qu’aux orphelins de guerre. Depuis, le Japon s'est toujours préoccupée des personnes-artistes "inadaptées" pour des causes diverses, aux normes sociétales, ce qui a abouti à la création en 2004, sous l’impulsion de Kengo Kitaoka, le président de association japonaise d'aides sociales Glow, du Musée No-Ma dédié aux arts singuliers. Comme toujours à la Halle Saint-Pierre, aucun parcours balisé n'est imposé au visiteur ce qui laisse ouvert son champ d'investigation au regard, en l'occurrence, des oeuvres d'une cinquantaine d'artistes en provenance de collections privées, celles de l'artiste ou de sa famille, et de fonds iconographiques inaliénables d'institutions à l'instar de ceux des premiers établissements psychiatriques européens tels qu'ils avaient été montrés ce printemps avec la récente exposition "La Folie en tête" à la Maison de Victor Hugo à Paris. L'Art brut au pays du Soleil levant L'impression d'ensemble qui se dégage de cette passionnante monstration tient en trois constats. En premier lieu, la qualité artistique, technique et esthétique de la sélection retenue dépourvues d'oeuvres ressortant au gribouillis enfantin.
Ensuite, la diversité formelle du monumental avec les sculptures-totems en mousse de polystyrène de Keisuke Atsumi à la miniature avec les reproductions maquettistes de Akira Yamane.
Enfin, l'absence de tropismes japonais patents notamment pour le visiteur qui n'est pas un exégète de la culture nippone même si Yoshihiro Watanabe réalise des origamis liliputiens, Makoto Koya une bande dessinée sur rouleau dans la tradition du manga et les magnifiques paravents d'obédience fantastique de Marie Suzuki.
Ainsi, la visite peut également s'ordonner sous l'angle des récurrences thématiques et/ou stylistiques avec l'art contemporain telles celles des suspensions textiles de Kazu Suzuki avec celles de Annette Messager.
Même si apparaissent des traces de recyclage de cultures populaires et/ou savantes, le matériau de prédilection de ces artistes est, d'une part, celui de leur vie quotidienne autocentrée par la transcription de fantasmes et obsessions qui établissent des réalités fictionnelles et oniriques.
Ainsi, traduisent-ils leur focalisation douloureuse sur la nourriture pour Noriyuki Katsura, les dents chez Ichiro Oka, les chiffres obsession pour Yu Fujita voire l'électroménager avec Tomoaki Sakai. D'autre part, celui d'un rapport au monde sur un mode angoissant comme traduit par Masaru Noue.
Sur les deux niveaux de la Halle, les poteries en argile, sculptures féériques ou monstrueuses constitutives de mythologies personnelles et de cosmogonies imaginaires de Shinotu Hamawaki, Hiroshi Fukao, et surtout de Sinichi Sawada exposé à la Biennale de Venise 2013,constituent le fil rouge de la déambulation.
Se dégagent des thématiques récurrentes qu'il appartient au visiteur de synthétiser. Tel celui de la ville tentaculaire et de l'urbanisme oppressant pour Shogo Harazuka et Katsuyoshi Takenaka avec ses buildings noirs et l'accumulation de véhicules dont des camions pour Takumi Matsuhashi, Toshio Okamoto et Katsuyoshi Saito.
A ne pas rater les dessins et peintures réalisés par Masaki Hironaka
et Yukio Karaki, rescapés des bombardements nucléaires, et l'impressionnant immense "Panorama du monde", conglomérat des grandes mégapoles, de Norimitsu Kokubo.
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