Réalisé par Adilkhan Yerzhanov . Kazakhstan/France. Drame. 1h39 (Sortie le 24 octobre 2018). Avec Dinara Baktybayeva Dinara Baktybayeva, Kuandyk Dussenbaev, Kulzhamiya Belzhanova, Teoman Khos, Yerken Gubashev, Talgat Sydykbeko, Bauyrzhan Kaptagai et Nurbek Mukushev.
On peut voir plusieurs fois "La tendre indifférence du monde" d'Adilkhan Yerzhanov, le film garde à chaque ses mystères et ne perd rien de son charme.
Est-on devant une série B déguisée en film lumineux, d'une vraie beauté formelle, nourrie de références picturales ? Est-on devant une grande histoire d'amour entre deux êtres mutiques qui comprennent trop tard qu'ils sont faits l'un pour l'autre ?
Est-on devant un film drôle qui s'achève tragiquement ou devant une description ironique de la société kazakhe, ses hiérarques, sa corruption et sa terreur généralisée ?
La belle Saltanat avec sa robe rouge et son ombrelle jaune, avec ses vrais faux-airs de Gong Li, pourrait sortir d'un feel good movie, genre "Bagdad Café". Le costaud Kuandyk avec ses traits coupés à la hache et sa tête rondouillard pourrait être un clown ou un tueur à gages facétieux. On le dirait échappé d'un film de Takeshi Kitano dont il a aussi quelques attitudes.
Mais l'un et l'autre lisent Albert Camus et ça change tout. Le titre du film est une citation de l'auteur de "La Peste". Adilkhan Yerzhanov ne fait pas du cinéma gratuitement. Il a l'ambition d'y insuffler de la vie, d'en montrer des facettes que seul le cinéma peut donner à voir.
On sent dans chaque plan une vraie envie de produire du beau. Il faut dire que Yerzhanov a un chef opérateur, Aydar Shapirov, qui sait ce qu'est une belle photo et que ses compositions sont magnifiées par la musique expressive de Nurassyl Nuridin.
C'est la force du cinéma d'Adilkhan Yerzhanov : aucun de ses plans n'est inutile. Qu'il filme les visages de ses héros, les trognes de tous ceux qui les entoure, un tableau dans le style douanier Rousseau, un paysage dans la montagne ou des escalators dans Astana, il ne laisse jamais indifférent. Ainsi, quand sa caméra fixe un container, c'est un container sur lequel Kuandyk a dessiné à la craie une belle jeune femme qui fait allusion à Saltanat.
"La tendre indifférence du monde" d'Adilkhan Yerzhanov est aussi plein de délicatesse dans les rapports humains. Les basses œuvres et les trahisons se font ici avec une certaine mélancolie, jamais avec le cynisme habituel. D'ailleurs, quand on se tue ou s'entre-tue chez Yerzhanov, c'est toujours "off", jamais frontalement devant le spectateur.
"La tendre indifférence du monde" d'Adilkhan Yerzhanov sait aussi dépasser son contexte kazakh sans chercher à tout styliser. S'il paraît universel, c'est parce qu'il n'a aucun mal à montrer une prison locale, à utiliser des voitures du cru et qu'il ne lui viendrait pas à l'esprit de cacher l’embonpoint qui caractérise nombre de ses concitoyens. A l'aise dans sa réalité nationale, il ne cherche pas pour autant à s'enfermer dans le typique.
Voilà bien des qualités et des parti-pris qui laissent à penser qu'Adilkhan Yerzhanov est un cinéaste à suivre dès maintenant. |