Monologue dramatique d'après l'oeuvre de Jean Racine interprété par Mathieu Montanier dans une mise en scène de Frédéric Fisbach. Quoi de plus intime que la loge d’un artiste ? Cet endroit où le comédien quitte rôle et costume pour redevenir individu ? C’est dans cette intimité que débute et emmène "Bérénice Paysages".
Le choix du metteur en scène de présenter un comédien, Mathieu Montanier, répétant son texte sur plateau script en mains avant qu’il ne l’abandonne, la matière inerte du texte prenant bientôt une substance bouleversante par le corps, marque la beauté inédite de cette création.
Appuyée par des jeux de lumières de Léa Maris accompagnants le parcours du comédien à travers le texte, la scénographie moderne de Charles Chauvet sert une compréhension résolument contemporaine de la poésie tragique de "Bérénice".
Vingt ans après avoir monté "Bérénice", le metteur en scène Frédéric Fisbach retourne à cette tragédie de Racine par "amour de cette langue". Dans cette mise en abyme du comédien au travail sur scène perché sur une table d’où il se démaquille, se lave, se change, le texte de Racine est d’abord murmuré et parfois hésitant sur fond de musique classique. Le murmure s’amplifie alors que le personnage/comédien intègre les mots et le sens des tirades qu’il récite avant que son corps ne s’anime à mesure qu’il les vit.
Alternant des tirades de Titus, Bérénice et Antiochus, les choix d’extraits du "Bérénice" original concentrent l’intention de cette création sur la souffrance créée par la séparation d’êtres qui s’aiment. Là réside le tragique universel de cette pièce de Racine qu’expose cette création ; dans ce déchirement dont la douleur nous parvient ici d’une seule voix.
Les personnages se confondent alors que le comédien semble de plus en plus possédé par les émotions terribles, les tourments physiques qu’expriment, dans le texte, ceux qu’il incarne tour à tour.
"Everybody wants to be loved". Cette musique, choix qui accompagne avec pertinence "Bérénice Paysages", ramène aux fondamentaux humains exprimés dans le texte remanié de Racine, autant que dans la richesse du jeu de Mathieu Montanier.
Tout le monde veut être aimé, c’est cette vérité qui heurte le sensible. Quand le texte incarné prend toute son ampleur dans la compréhension viscérale du comédien des mots qu’il déclame, leur portée n’en est que plus forte pour le public qui vie avec lui la violence et la douleur de ce que ces mots transportent, animés par une voix humaine.
La symbiose finale des trois personnages dans le corps seul du comédien renvoie à l’humanité universelle contenue dans cette tragédie racinienne. Face au public dans un halo de lumière ne découvrant que son visage, la beauté terrible de la langue dont les émotions sont réellement vécues par le personnage/comédien nous sont livrées dans une sobriété totale. Une dernière confession où les yeux et la voix seules concentrent, dans une tension fulgurante avec le public, les transports si humains des personnages de Racine.
Une expérience artistique mémorable dans cette création où le sens et le tragique de "Bérénice" parviennent dans une limpidité inédite. La poésie de Racine et son universalité n’ont jamais été aussi intelligibles.
J. Wattel
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