La
chronique de disque n’est pas un exercice difficile mais comme il n’y
a pas vraiment de règle convaincante on essaye de traduire une impression
ou de défendre un projet par des procédés toujours plus
ou moins expérimentaux dont on ne mesure pas vraiment l’intérêt.
On se persuade alors de l’évidence la difficulté à
traduire une œuvre musicale par des mots, en effet si on se refuse à
parler du coté technique (soit parce que l’on se persuade que cette
analyse d’entomologiste n’a aucun intérêt, ou parce
qu’on n’y connaît rien du tout) on peut au plus parler des
effets de la musique sur nous, donc c’est subjectif tout ça, au
final on n’a aucune idée si cela va donner une idée valable
au lecteur potentiel auditeur alors que c’est aussi un peu pour lui qu’on
fait quelques efforts.
On retrouve principalement dans les zines le recours à la comparaison
comme un quasi passage obligé. Parfois agaçant on peut y voir
plusieurs intérêts évidents presque convaincants. D’autre
part c’est un recours pratique sans avoir à se creuser trop la
tête - cela ressemble à untel à l’oreille enfin vaguement
comme ça sans forcément bien savoir pourquoi - et d’autre
on peut alors essayer de rallier l’expérience musicale à
un ensemble de groupes déjà existants et quand il y en a un certain
nombre (disons au moins deux) on peut mettre une étiquette dessus ce
qui est tout de même beaucoup plus confortable.
Au sujet de Broadcast il sera facile d’éviter
cette tentation, s’il y a en effet bien quelques groupes qui leur ressemblent
vaguement, ils font partie d’une niche si étroite que de toutes
façons tout ceux qui en connaissent un connaissent les autres, d’où
la futilité de s’épauler d’un d’eux pour décrire
les autres : ce serait aussi opaque que la phrase que je viens de taper. Pour
illustrer, si on écrivait une chronique raisonnable on dirait en gros,
sinon en mieux : "Le collectif de Birmingham Broadcast vient de sortir
son troisième album Haha Sound renouvelant
avec succès le space-rock de leurs comparses Pram et Stereolab."
Inévitablement c’est le bide.
On retrouve bien la difficulté à présenter ce groupe aux
néophytes via les termes évasifs utilisés sur l’autocollant
promotionnel qui accompagne le disque (très en vogue chez Pias, dans
la lignée du très prescripteur "lu et approuvé"
des années Inrocks) : "Ambiance sixties décalées,
BO de films noirs et comptines naïves aux accents acidulés par le
plus pop des groupes Warp." .
On note juste le petit label Warp glissé pour tenter les électroniciens
et ce côté "pop" et "décalé"
qui peut tenter à peu près n’importe qui, tout cela sous-estime
radicalement l’originalité de l’univers de ce groupe. On
va "essayer" d’aller un peu plus loin, hop!
Déjà pour ferrer l’auditeur il faut préciser que
Broadcast est un groupe culte, certes ça ne veut pas dire grand chose
mais ceci permet d’insister sur le fait qu’il faut le tirer de la
masse des disques qui nous submergent, qu’en gros qui ne connaît
pas Broadcast manque quelque chose.
En même temps le prosélytisme de bon ton ne convainc pas nécessairement,
et puis après tout on n’est bien content jusqu’à présent
de n’être pas (trop) nombreux à être amoureux de tous
les disques (EPs et LPs) de ce groupe. D’ailleurs inutile de revenir sur
leur discographie, tout est indispensable (EPs et LPs) et même, si on
veut être tatillon, il n’y de toute façon qu’un seul
véritable album The noise made by people (2000) le reste étant
EP ou compilation d’EP.
Bon ceci dit on en sait toujours peu sur cet album je propose donc de commencer
sans attendre cette chronique.
D’abord l’objet lui même est tout assez recherché
et garde vaguement la même charte graphique via l’utilisation des
caractères d’imprimerie comme décors, il n’en reste
pas moins que la pochette est relativement hideuse et rompt avec la classe des
précédentes illustrations.
La déception est vite oubliée quand on retrouve toujours cette
voix claire, pure et très franchement inclassable qui fait la grâce
du groupe. Les titres sont dans l’ensemble plus pop qu’auparavant,
les textes coulent encore d’eux même dans une ambiance mystérieuse
et onirique qui peuple ces rêveries musicales ("Captured under hypnosis
/ Faster and faster images / Can a meaning be obtained / Or this mistery explained"
dans "Pendulum").
Quand on parle de coté pop, c’est d’avantage pour une atmosphère
sucrée et douce que pas le rythme qui reste dans l’ensemble lent
et lancinant (sauf "Pendulum"), les instrumentations électroniques
sont cotonneuses ou mélodiques et toujours parfaitement léchées,
rien qui ne dépasse ou ne gène la rotation sans friction de cette
boîte à musique. Ce mouvement de pendule prend forme dans les rimes
de Little bell, comptine tout droit sortit de la théière du chapelier
fou.
On retrouve encore quelques titres instrumentaux comme "Black Umbrellas"
un peu raté loin des réjouissances du Extended Play Two
(2000) mais un "Distorsion" quant à lui excellent
et dans un style proto-jazz inédit chez Broadcast, jamais dans le coup
mais toujours moderne.
Certains titres sont vraiment magnifiques et toujours variés comme
l’invitation au voyage de "Ominous Cloud" qui nous
rappelle le rêve de leur dernière tournée en 2000 (en concert
ce mois ci au fait, à ne pas rater…) et propose un pendant béat
aux disques plus dépressifs de cette rentrée (ASMZ en
tête) qui devrait ravir ceux qui ont gardé, même bien cachée,
leur capacité d’émerveillement.
On regrette juste par honnêteté quelques passages à vide
comme ce "Oh How I miss you" heureusement très court,
où le groupe se prend pour un Stereolab sous prozac, qu’on ne rencontrait
pas au détour des précédents disque de ce groupe en orbite
dans une lointaine galaxie.
Haha Sound est un disque de rêve.
|