C’est d’abord une question de "Peaux", où des filles-garçonnes se tatouent des marques de fierté sur le corps, entre affirmation de force et envie de douceur. Peaux encore, au poste-frontière de "Marwa", quand le laisser-passer ("privilège de ceux du nord "), se complique à mesure que la couleur s’assombrit. Histoire de passage encore, avec ces "Sœurs" parties en mer pour le voyage d’une vie : la mort rôde, et la première disparue attendra celle qui reste "de l’autre côté". La voix, d’abord discrète, s’affirme aérienne dans les aigus, se gonfle de colère puis retombe en délicatesse. Les images ou anecdotes, arrachées au quotidien, sont assez stylisées pour échapper au réalisme, se teintent d’un onirisme discret qui n’empêche cependant pas les prises de position : on devine en creux certaines préoccupations militantes (féminisme, queer) sans que cela ne soit jamais asséné.
Les guitares jouent acoustique, construisent lentement des architectures subtiles, rejointes peu à peu par des instruments moins usités (oud, cajon, kalimba). A la recherche de comparaisons, on songe d’abord aux débuts de Cat Power, voire à la plus secrète Julie Doiron. Mais ces références ne tiennent pas. Sur son site, la chanteuse évoque plutôt la musicienne écossaise Maggie Nicols (free-jazz, impro) ; et précise qu’elle joue aussi dans un groupe de rock progressif. Eurêka ! On pourrait qualifier sa musique de "progressive folk" : les chansons ne se contentent pas d’un simple couplet-refrain, laissent parfois évoluer leur structure originelle vers des constructions plus amples, prenant le temps d’installer une ambiance, développer un climat. Sans perdre leur évidence mélodique : malgré ces circonvolutions musicales, les refrains sont entêtants et les airs se retiennent.
Mais ce petit EP plein comme un œuf (plus riche que bien des albums) n’est pas réductible à une étiquette et a plus d’un tour dans son sac. Après trois chansons lentes, riches et pleines, le rythme s’emballe, guitares, percussions et boucles de voix se mettent à danser : "Juliette" semble chanter une langue inconnue, où les sons ont plus d’importance que les mots, où la gravité des textes s’évanouit dans l’aigu noyé d’écho, démultiplié. Ce moment de jubilation vocale – communicative – est prolongé par "François" (sous-titré "improvisation d’adieu") : paysage sonore rêveur, à base de kalimba et basse, où se déploie encore cette voix en pure musicalité. On aime quand un artiste, après avoir livré sa pensée structurée, s’abandonne au plaisir du son : Clara Malaterre écrit des textes pleins d’idées belles et fortes, mais a l’intelligence de ne pas exclure la légèreté de son propos.
Tout fout le camp en ce moment. En attendant des jours meilleurs, accrochons nous et noyons notre chagrin dans la culture !Cc'est parti pour le sommaire de la semaine en commençant par le replay de la 63eme Mare Aux Grenouilles.