Why hasn't everything already disappeared ?
(4AD) janvier 2019
"Puisque le monde nous est donné d’une certaine façon inintelligible, il faut le rendre encore plus inintelligible." Jean Baudrillard
"Parlons donc du monde d'où l'homme a disparu. Il s'agit de disparition, et non pas d'épuisement, d'extinction ou d'extermination. L'épuisement des ressources, l'extinction des espèces, ce sont là des processus physiques ou des phénomènes naturels. Et là est toute la différence, c'est que l'espèce humaine est sans doute la seule à avoir inventé un mode spécifique de disparition, qui n'a rien à voir avec la loi de la nature. Peut-être même un art de la disparition." Jean Baudrillard
"In the country there's great unrest, violence is taking hold, call it what you want, dear, I call it fear, what happens to people ? They quit holding on"
Douze ans déjà que Jean Baudrillard est mort, pourtant il semble toujours aussi présent et plus que jamais pertinent. Il était le grand philosophe de la disparition du réel. Le réel en tant que principe. Et ce principe n’existe plus. L’augmentation des images marque l'abandon de l’absence, l’image dominant le réel. Les chaînes d’info en continue en sont un exemple : "un univers où il y a de plus en plus d’information, et de moins en moins de sens". Il démasque l’avènement généralisé du régime de la simulation sous l’emprise du numérique et des technologies de l’information.
Que Deerhunter fasse référence à Baudrillard et à son livre : Pourquoi tout n'a-t-il pas déjà disparu ? (éd. de L'Herne, 2008) pour leur huitième disque n’a rien de surprenant. Le groupe s’inspire de Baudrillard pour dénoncer la culture du faux et se pose des questions sur : la politique, l’écologie, la disparition de la culture, de l'humanité, de la nature, de la logique et de l'émotion, sur le fait de sortir un disque alors que l'attention se restreint à presque rien, que la musique se réduit de plus en plus à des algorithmes et s'envisagent à un placement dans des playlists, sur la vie. Tout serait donc virtuel… Simulacres et artifices.
La musique de Deerhunter est-elle simulacres et artifices ? Absolument pas. Depuis ses débuts le groupe se nourrit de son propre chaos, de la mort, le leader Bradford Cox est atteint du syndrome de Marfan. La mort qui rode ici aux détours de différents titres (James Dean dans "Plains", la députée travailliste anglaise Jo Cox dans "No One’s Sleeping"...). La matière l’intéresse en premier lieu. Les jeux d’ombres et de lumière, de vide et de plein. Deerhunter pense la grande forme et ne se laisse pas emprisonner par un système ou une esthétique (pop, glam, rock lo-fi, alt-country, noise, psychédélisme, art-rock…). Les lignes ne sont jamais claires, elles sont brisées. Mais toujours superbes.
Il y a chez Bradford Cox une véritable intelligence musicale (cette dichotomie entre des paroles très sombres et la façon de colorer les morceaux), cette capacité à écrire et à mettre en son (dans les arrangements) de superbes chansons tout en méandres, et pourtant, finalement assez évidentes. Des chansons pour ne pas sombrer dans le désespoir irréductible qui ne peut que conduire au nihilisme. Deerhunter répond à toutes ses questions par la résistance, la résilience, la beauté, par l’intensité, par les mouvements des dynamiques, par la force musicale. Toutes ces choses qui rendent essentielle l’écoute de ce disque.
Coup de froid sur le pays, tant en terme de météo que de politique. Réchauffons nos petits coeurs avec de la musique, des livres du théâtre et la MAG#90...
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