Monologue dramatique de Samuel Beckett dit par Sami Frey.
Court récit écrit à la première personne par Samuel Beckett, "Premier amour" parle tout simplement de la vie et la mort. À la fois mystérieux et limpide, ce texte paru dans les années 1970 est sans doute parmi les meilleurs de Beckett.
Ce n'est pas un hasard si Sami Frey s'en était déjà emparé il y a une dizaine d'années. Avec "Je me souviens" de Georges Perec, il a fait sien ce bilan de vie qui se passe dans un cimetière, où le narrateur, casquette sur la tête et manteau bleu foncé qui pourrait être celui d'un ouvrier - pourquoi pas un ouvrier des mots - sac vert en bandoulière, s’assoit sur un banc pour s'approcher au plus près de la mort, donc de la vie.
Le rideau de fer de la scène est resté fermé. Sami Frey entre par une porte côté jardin et prend possession d'un des bancs alignés, un banc comme on en trouve dans les vestiaires d'un gymnase, encore une antichambre pour s'échauffer avant la mort.
Pendant l'heure "somptueuse" qu'il accorde au public, il ne fera pas grand chose d'autre que d'ouvrir son sac, là où il y a un sandwich et une banane. Il va dire du Beckett, mais de sa voix mélodieuse, amicale, chaleureuse, on n'a aucunement l'impression d'entendre un texte, d'avoir affaire à un comédien, un médiateur d'un auteur. Sami Frey n'est ici qu'un passeur, quelqu'un qui dit des mots avec une telle évidence, une telle simplicité qu'on ne sait plus qu'il y a un auteur - et quel auteur ! - derrière ces mots.
Si l'on voulait donner un conseil au spectateur pour qu'il bénéficie au mieux de la présence de Sami Frey, on lui dirait de préalablement lire ou relire "Premier amour" de Beckett. Alors, quand il sera en présence du maître-acteur, il découvrira que toutes les affèteries de Beckett, tous ces petits moments où il ne peut s'empêcher de brouiller les pistes deviennent clairs et nets quand ils sortent de la bouche de Sami Frey.
Il comprendra comment l'acteur s'est fait alchimiste pour que l'auteur d' "En attendant Godot" donne sa belle leçon de vie et de mort. Peut-être même, faudra-il que le spectateur, une fois rentré chez lui, relise une nouvelle fois "Premier amour".
En procédant à cette triple opération, il n'aurait pas simplement vu un spectacle d'une grande pureté et d'une rare intelligence, il se serait imprégné de l'art de Sami Frey et de la poésie de Beckett. Il aurait vécu un moment vraiment unique, celui où un texte pénètre un corps et une âme, celui d'une trinité absolument inouï où l'auteur, l'acteur et le spectateur sont à l'unisson dans une dimension aussi magique que divine, celle où l'on partage énormément plus qu'un divertissement.
On comprend ainsi pourquoi "Premier amour" de Samuel, joué et mis en scène par Sami Frey est un tel moment de grâce qu'il oblige à n'employer aucun superlatif au risque de de devoir tous les employer. |