Comédie dramatique de Anton Tchekhov, mise en scène de Jean Luc Jeener, avec Vincent Gauthier, Claude Gentholz, Pascal Guignard, Marie Hasse, David Mallet, Hervé Maugoust, Syla De Rawski et Marie Hélène Viau.
Un des opus majeur d'Anton Tchekhov, "Oncle Vania" aborde les thèmes des amours transis et des vies inaccomplies pour des raisons diverses, le vide existentiel, l'absence de spiritualité et de projet de vie, à travers le coup de tonnerre qui va s'abattre sur la propriété en perdition des Voïnitzki.
L'aieule plongée dans ses lectures, la nourrice absorbée par ses tâches ménagères, Vania le fils et Sonia la fille de la soeur disparue s'occupant du domaine, vivent dans une demeure devenue un "caveau" et leur vie s'écoulait dans une autarcie et une monotonie aussi délétères qu'engourdissantes à peine animées par l'écornifleur Téléguine et la halte du médecin du canton Astrov.
Jusqu'à l'arrivée du père de Sonia, le professeur Sébériakov, considéré comme "le grand homme" de la famille qui semble tenter une alternative rurale motivée par une mise à la retraite bouleversant sa situation pécuniaire, et surtout de sa seconde épouse Elena.
Car celle-ci, jeune, séduisante et coquette, va constituer le catalyseur d'un déchaînement de passions qui va submerger la gent masculine tout en la laissant sans espoir et, de manière cruelle, ruiner tout espoir pour la jeune fille de la maison.
Pour mettre dispenser cette partition, comme Jean-Luc Jeener n'est pas Christian Benedetti, sa mise en scène ne s'inscrit pas dans un rythme frénétique. Au contraire, elle opère avec une dilation du temps portant l'opus à près de trois heures qui, cependant, jamais ne lasse ni ne fait regretter l'absence d'un entracte salvateur d'autant qu'il a réuni une excellente et judicieuse distribution.
Par ailleurs, il axe la partition, sans occulter la "révélation" que constitue la découverte de la vacuité de la baudruche pseudo-intellectuelle érigée en dieu adulé, sur les tourments de l'amour - et du désir - qui agitent les principaux protagonistes dans le quadrille des vies ratées formé par deux couples en miroir, l'un renonçant à un amour partagé, l'autre devant faire le deuil d'un amour refusé. Dans un salon avec samovar, les personnages se révèlent dans les splendeurs et les misères de l'humain par la grâce d'une émérite direction d'acteur et l'interprétation incarnée de comédiens aguerris.
Avec au jeu, côté féminin, Claude Gentholz au ton juste en nourrice pragmatique comme Syla De Rawski en doyenne de la maisonnée, Marie Hasse, bouleversante en âme courageuse et dévouée sans avenir autre que la servitude volontaire dans l'attente du salut, et Marie Hélène Viau négociant avec subtilité la figure ambigüe et paradoxale de celle par qui tout arrive. Côté masculin, Vincent Jouffroy, parfait en cacochyme infatué et égocentrique doublé d'un tyran domestique, Pascal Guignard troublant médecin désabusé entre auto-destruction et aspiration au bonheur, et David Mallet saisissant dans le rôle-titre qui navigue de la dépression à la colère et de l'accablement à la violence tragique.
Un grand moment de théâtre.
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