Spectacle de Jean Lambert-wild et Lorenzo Malaguerra d’après le mythe de Don Juan et l'oeuvre éponyme de Molière, avec Jean Lambert-wild, Steve Tientcheu (ou Yaya Mbilé Bitang), Denis Alber, Pascal Rinaldi, Romaine et des élèves comédiens de la Séquence 9 de l'École Professionnelle Supérieure de Théâtre du Limousin. Tout d'abord, quand le rideau se lève, avant même qu'il se passe quoi que ce soit, le spectateur est saisi par la beauté de la scénographie. Il est annoncé que Jean Lambert-wild et son co-scénographe Stéphane Blanquet ont fait appel aux Porcelaines de Limoges et aux Tapisseries d'Aubusson et c'est effectivement une splendeur coloré, une merveille artistique, un décor exotique, haïtien, propice à l'irruption de zombies et de tonton macoutes qui s'offre immédiatement à tous les regards.
Bientôt, l'endroit est peuplé par un Dom Juan gentilhomme aux cheveux rouges, en chemise blanche et en pantalon de pyjama bleu pâle à rayures et par un Sganarelle noir de teint et de ton, dans une tenue macabre noir surmonté d'un squelette blanc. On le dirait déjà zombie ou participant à la fête des morts mexicaine.
Dom Juan tousse et ricane, Sganarelle l'écoute, moralement effrayé par ses propos mais fasciné par sa parole. Car ici, tout est parole et musique comme viennent l'affirmer un trio de musiciens qui pourraient s'appeler Harpo, Chico et Groucho mais ont la modestie toute helvétique de s'appeler Denis Alber, Romaine et Pascal Rinaldi.
Dom Juan, on ne l'a pas dit, c'est le retour de Gramblanc, encore un peu raide d'avoir osé Molière après Shakespeare et Beckett. Souple comme Scaramouche, bretteur de mots comme Cyrano, faussement léger et libertin, il cache en grimpant dans son arbre-cabane ses tourments métaphysiques.
Jean Lambert-wild et Catherine Lefeuvre ont réduit à quatre les fâcheux qui, un à un, s'empressent de le tourmenter, de réduire sa vie fantasque de clown moliéresque à choisir encore et toujours entre le bien et le mal. Dom Juan est un grand négatif, un enfant qui s'évertue à dire toujours "na" et à ne pas vouloir grandir alors que l'ère libertine s'estompe au profit des bigots et des dévots.
Son sort est scellé d'avance et on sent bien qu'il fait semblant, voire qu'il fait semblant de faire semblant. Au fond, il n'est qu'amour, ce méchant homme. Il aimerait être "gentil" avec Elvire, Charlotte, Don Carlos son père et même avec ce mendiant dont la condition l'horripile, lui qui pressent qu'il est plus vil de mendier que de voler. Mais il est contraint à faire semblant.
Peut-être aussi parce qu'il veut épater Sganarelle. Eh oui, ce gentilhomme veut épater son valet : c'est là sa modernité et sa largesse d'esprit peu commune. Il veut séduire son domestique et le traiter quasiment d'égal à égal, quitte à faire le grand saut sans lui payer ses gages. En bonne logique car, entre égaux, peut-il être question d'argent ?
Jean Lambert-wild est un fier Dom Juan qui met en pratique les idées avancées de son personnage : ainsi il adoube en égal Steve Tientcheu, acteur cathodique, revenu sur les planches pour composer un extraordinaire Sganarelle. Du coup, sauf dans le titre conservé de la pièce de Molière, le maître et le valet vont de pair et Dom Juan accepte lui-même de tomber de son piédestal avant le fatidique final.
Au fond, pourtant, cette parité ne change rien à la littéralité de l'oeuvre : comme dans tous les grands couples héroïques, à l'instar de Don Quichotte et de Sancho Panza, c'est toujours le "petit" qui triomphe du "grand", après bien entendu moult bastonnades et gages perdus.
On aurait pu aussi citer Astérix et Obélix, car le "Dom Juan" dirigé par Jean Lambert-wild et Lorenzo Malaguerra a des côtés bédés (décor, musiciens). Le projet est en tout cas infiniment populaire et cette pièce, propice à tant de commentaires, de gloses et d'exégèses, redevient grâce à Jean Lambert-wild et toute son équipe une pièce drôle et compréhensible de tous.
On signalera que les quatre personnages qui visitent Dom Juan en son antre luxuriant sont joués à chaque représentation par des élèves différents issus de l'Académie de l'Union, renforçant ainsi l'impression qu'on est devant un travail collectif, une fête du théâtre où chacun sur scène ou dans la salle, trouve sa place et son plaisir. |