Depuis l'Antiquité existe la quête de la beauté, critère d'une esthétique et du goût expertisée par l'exposition en deux volets "Le bain et le miroir - Soins du corps et cosmétiques de l'Antiquité à la Renaissance"*, à travers les soins du corps et les cosmétiques fabriqués et vendus de manière artisanale jusqu'au 19ème siècle.
A l'aube du 20ème siècle, une femme, Helena Rubinstein, révolutionne le monde de la cosmétique en créant une entreprise de production et de distribution de produits portant sa marque, aujourd'hui propriété du Groupe L'Oréal, et fonde un empire.
Son histoire et son destin exceptionnels ont été plusieurs fois retracés de manière muséale et son avatar français est présenté au Musée d'Art et d'Histoire du Judaïsme sous le titre "Helena Rubinstein – L'aventure de la beauté" et le commissariat de Michèle Fitoussi, journaliste et romancière auteure de la biographie "Helena Rubinstein. La femme qui inventa la beauté", et Dorota Sniezek, commissaire adjointe audit musée.
Bénéficiant d'une superbe scénographie de Loretta Gaitis, la monstration en forme de biopic muséographique se déroule selon un parcours chronologique scandé par les pérégrinations cosmopolites, de sa Pologne natale aux Etats-Unis où elle décède nonagénaire en 1965 en passant par Melbourne, Vienne, Londres, Tel-Aviv et Paris.
Portrait - et Portraits - d'une femme Riche de trois centaines de pièces, oeuvres d'art, documents d'archives et photographies, l'exposition trace le portrait d'une femme non seulement self-made-woman à l'exceptionnelle réussite mais, celui d'une femme, archétype de la femme moderne, libre et indépendante, qui a pratiqué l'invention de soi.
Refusant le déterminisme de la naissance dans une modeste famille juive orthodoxe dans un faubourg de Cracovie, Helena Rubinstein prend le chemin d'un exil définitif qui passe par Vienne puis Melbourne où elle commercialise avec succès la recette d'une crème pour le visage.
Première étape d'une entreprise pour la conquête du monde par un petit bout de femme de moins d'un mètre cinquante qui, ambitieuse et déterminée et dotée d'une volonté de fer, va devenir selon les mots de Jean Cocteau "l'impératrice de la beauté", femme au profil hiératique et aux bijoux somptueux de reine biblique. Et, surtout, derrière la femme élégante, passionnée de mode, raffinée et féminine à l'extrême, une redoutable femme d'affaires, capitaine d'industrie avant l'heure, et une pionnière par son sens inné du commerce anticipant les concepts de merchandising, marketing et stratégie de communication des marques.
Avec le slogan "Beauty is power", elle redéfinit la beauté comme arme de séduction massive qui passe par les soins pour exalter la beauté naturelle et la réhabilitation du maquillage, en son temps cantonné aux théâtreuses et aux bitumeuses, qu'elle érige en pratique essentielle, et vend du rêve et du luxe.
Le rêve intemporel et universel de la beauté et de l'éternelle jeunesse, étayé par la recherche clinique et les nouvelles technologies, et le luxe par la diffusion de produits haut de gamme pour la commercialisation desquels elle sollicite les artistes qu'elle croise et fréquente notamment dans le Tout Paris des Années folles.
Ainsi, Paul Poiret pour la décoration de sa boutique du Faubourg Saint Honoré, Miró et Marie Laurencin pour ses campagnes publicitaires, et la peintre, styliste et décoratrice Sarah Lipska pour les étiquettes de flacons de parfum et le décor des vitrines.
Sarah Lipska qui réalise également son portrait comme nombre des peintres d'avant-garde qui concourent à l'immortalisation d'une femme très élégante toujours en représentation de soi. De Dufy à Dali, tous ont réalisé le portrait, majoritairement en buste, de profil et à la manière des classiques portraits d'apparat, de celle surnommée "Madame" qui figurait comme égérie principale de sa marque.
Des peintres, entre autres et pour les plus connus, Chagall, Utrillo, De Chirico, Picasso et Jean Lurçat et les sculpteurs Boris Lovet-Lorsi et Chana Orloff,dont elle collectionnait les oeuvres au même titre que les objets des arts premiers. A ne pas rater parmi les nombreuses photographies d'archives, celles anecdotiques de Helena Rubinstein posant devant ses portraits, d'une de ses maisons miniatures reconstituant une époque historique ou de l'acteur Tony Curtis inaugurant le premier institut de beauté pour homme qu'elle a créé. Une belle exposition pour découvrir une femme qui a forgé son destin et s'est inscrite dans l'Histoire de la beauté de la première moitié du 20ème siècle qui a engendré le culte du corps et réactivé le mythe de Narcisse.
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