Comédie dramatique d’Henrik Ibsen, mise en scène de Jean-François Sivadier, avec Sharif Andour, Cyril Bothorel, Nicolas Bouchaud, Stephen Butel, Cyprien Colombo, Vincent Guédon, Jeanne Lepers et Agnès Sourdillon.
Ecrit en 1882, "Un ennemi du peuple" du dramaturge norvégien Henrik Ibsen aborde, sur la trame de l'affrontement fratricide et le genre de la satire socio-politique, traite, avec sagacité et une plume virulente, des thématiques à l'édifiante résonance au regard des faits récents de sinistre mémoire et des débats contemporains.
Dont la dénonciation des errements et paradoxes démocratiques, avec l'acoquinage du politique et de l'économique, le véritable pouvoir des lobbies, l'ambiguïté opportuniste de la classe moyenne petite bourgeoise, l'inféodation de la presse, la récusation de l'apologie du peuple vertueux constitué d'une masse plébéienne girouette imbécile et manipulable, et la prévarication généralisée avec, selon la terminologie moderne, le principe de précaution, le désastre écologique et le lanceur d'alerte.
Jean-François Sivadier met en scène l'opus selon ses fondamentaux tenant notamment au théâtre ludique et au plaisir du jeu pour le comédien et, quasiment, comme une farce avec des personnages réduits à des archétypes caricaturaux, qui font la part belle aux numéros d'acteur, et des scènes de confrontation traitées de manière tragi-comique à la manière du duo de clowns.
Et ce dans un décor "aquatique" avec des cimaises transparentes en forme de murs d'eau et d'étonnants lustres dont des sacs remplis d'eau font office de globes, sublimé par les lumières de Philippe Berthomé, conçu conjointement avec Christian Tirole.
Ainsi le spectateur est immergé dans le modeste village régi par le préfet Stockmann (Vincent Guédon parfait), homme médiocre mais à la malice opportuniste et doté d'un servile petit doigt sur la couture du pantalon notamment face au potentat financier, est devenu prospère par la vertu de ses eaux naturelles et la création d'un très rentable établissement thermal fondé sur le mirage de la jeunesse et de la santé.
Tout va bien jusqu'au jour où son frère, le docteur Stockmann (Nicolas Bouchaud magistral), lance un pavé dans la fontaine miraculeuse mais une éprouvette en brandissant une analyse biologique établissant la pollution dangereuse des eaux puisées en aval des anciennes tanneries appartenant, au demeurant, à son beau-père (Cyril Bothorel délirant en pater familias punk).
Après avoir été considéré comme un sauveur national, ce qui légitimise sa bouffée d'orgueil, soulignée en l'espèce par les premières mesures grandiloquentes du poème symphonique "Ainsi parlait Zarathoustra" de Richard Strauss dont l'harmonie déstructurée par le Portsmouth Sinfonia scandera sa chute, soutenu par les représentants de "l'opinion publique", il devient l'homme à abattre en raison des conséquences pécuniaires de sa révélation, certes d'intérêt général, qui nuisent aux intérêts particuliers.
Aussi bien ceux matérialistes des "petits propriétaires" interprété parStephen Butel qui sur-use de la scansion d'un Michel Fau né dans le pays des bonbons Ricola qu'idéalistes du journaliste (Sharif Andoura exemplaire) aux convictions socialistes molles, toléré comme "poudre à éternuer" et préférant le ralliement à la cause réactionnaire que la mort professionnelle.
Agnès Sourdillon, l'épouse du médecin, Jeanne Lepers, sa fille passionnaria et Cyprien Colombo, en baudruche révolutionnaire, complète une distribution de fidèles qui porte la partition résultant de la traduction d'Eloi Recoing qui comporte une scène surnuméraire relative au théâtre participatif.
Dans le rôle-titre, Nicolas Bouchaud compose avec acuité tant le "juste" naïf atteint du syndrome du chevalier justicier qui vire au nihiliste révolutionnaire que, toujours excellent dan les envolées en solitaire, le parangon ibsénien prônant la "tabula rasa" comme seule issue pour une société vouée à l'extinction par implosion. |