Réalisé par Salvador Simo. Espagne. Animation. 1h47 (Sortie le 19 juin 2019).
Sur le papier, l'idée de raconter en dessin animé un épisode de la vie du cinéaste espagnol Luis Bunuel paraît une idée étrange, presque farfelue.
Surtout qu'il s'agit de saisir le réalisateur à son retour en Espagne à la suite de son expérience surréaliste parisienne où, avec son ami Salvador Dali, il a réalisé deux films mythiques et scandaleux : "Le Chien andalou" (1928) et "L'âge d'or" (1930).
Luis Bunuel se rend alors dans "Las Hurdes", un coin perdu de l'Estrémadure, où règne une misère noire, à tel point que le film sera distribué souvent sous un titre tristement explicite : "Terre sans pain".
Sans paraphraser le film d'animation de Salvador Simo, qui raconte tout cela avec beaucoup d'humour et d'admiration pour Bunuel et ses compagnons, le futur cinéaste de "Los Olvidados" trouve l'argent nécessaire à ce projet, tellement insensé qu'il apparaît comme une manière de continuer le surréalisme par le documentaire, grâce à un ami anarchiste, Ramon Acin, qui a gagné à la loterie en décembre 1932.
C'est donc ainsi, avec l'aide du grand photographe Eli Lotar arrivé avec une caméra prêtée par Yves Allégret, et Pierre Unik, un personnage culte du surréalisme, comme assistant, que Luis Bunuel va se lancer dans une des plus singulières histoires cinématographiques que l'on puisse raconter.
Salvador Simo a eu parfaitement raison de tenter l'aventure, d'autant que son œuvre s'inspire du roman graphique de Fermin Solis, "Luis Bunuel dans le labyrinthe des tortues". Illustrateur de livres pour enfants, Fermin Solis a le sens du dessin utile, du dessin qui marque les esprits.
Cela donne un Luis Bunuel plus vrai que nature, une ambiance où le jaune et le marron dominent adoucissant un peu le noir et blanc très sombre qu'Eli Lotar donnera au film "réel".
Cela produit des personnages qui dégagent immédiatement de la sympathie. On les sent passionnés par ce qu'ils font et aussi très impliqués dans leur envie de faire connaître l'état de cette Espagne délaissée dans laquelle la mortalité infantile est énorme, comme le taux de handicaps mentaux ou physiques frappant les enfants.
Cette plongée dans le "pire" de l'Espagne annonce aussi les temps troublés à venir. Ainsi le fidèle Ramon Acin, ce généreux utopiste qui rêvait d'un monde nouveau saisi par les yeux de son ami Luis, qui abuse d'ailleurs un peu de lui, finira sous les balles franquistes.
Dans "Bunuel, après l'âge d'or de Salvador Simo, on devine tout cela confusément. On y est bien même si on traverse un pays d'une tristesse infinie. On y soupçonne que le bonheur de filmer ne sera que de courte durée, qu'un orage de sang et de crimes va bientôt s'abattre sur toute la terre espagnole...
Au point qu'il faudra attendre presque trente ans, et "Viridiana" pour que Bunuel retourne en Espagne. Le scandale qui s'en suivra pourrait peut-être fournir à Salvador Simo un nouvel épisode des aventures de Don Luis.
Quoi qu'il en soit, ce film hors norme est une réussite en matière d'animation et porte en lui un humanisme ironique qui aurait bien plus à Bunuel et à tous ses amis.
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