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Yasujirô Ozu   17 juillet 2019

Réalisé par Yasujirô Ozu. Japon. Drame. 1h59 (Sortie version restaurée 17 juillet 2019 - 1ère sortie 31 juillet 1991). AAvec Ganjirô Nakamura, Machiko Kyô, Ayako Wakao, Hiroshi Kawaguchi, Haruko Sugimura, Hitomi Nozoe, Chishu Ryu et Koji Mitsui.

Il était une fois un père. Il était aussi une mère, qui voit son fils progressivement quitter la maison pour devenir un homme. Il était des hommes qui boivent du saké en reluquant des femmes. Il était un jeune couple à la recherche de son indépendance. Ça pourrait être presque n’importe quel film de Yasujirô Ozu, qui inlassablement reconvoque les mêmes images, les mêmes trames narratives.

Le cinéaste a réalisé plusieurs autoremakes, reprenant les histoires de ses films anciens pour "Herbes flottantes" vient directement d’"Histoire d’herbes flottantes", un film muet magnifique. Mais c’est ce jeu d’infinies répétitions et variations, si délicates, qui font la beauté du cinéma de Ozu, qui creuse, de film en film, ces liens qui nous unissent les uns aux autres.

La guerre a été la grande dislocatrice des familles. Finie, la réunion de plusieurs générations sous le même toit. A présent, les jeunes doivent mener leur vie, souvent loin de leurs parents, parfois dans cette ville qui fait rêver, cette ville dont la modernité est capturée par Ozu en quelques plans fixes.

C’est d’ailleurs, comme toujours, ce type de plans qui ouvre "Herbes flottantes". Sauf que cette fois, l’action ne se passe pas à Tokyo ou à Osaka, mais dans une petite ville balnéaire, où le temps semble s’être figé dans la chaleur de l’été. Un bateau avance paresseusement sur les eaux bleues pastel qui se confondent presque avec le ciel, tandis qu’une légère brise souffle sur la ville alanguie.

Les comédiens arrivent en ville, menés par leur chef de troupe, Komajuro ( Ganjiro Nakamura). Parmi eux, on compte une bande de pieds nickelés, bien décidés à débusquer les femmes de la ville, la jolie Ka Machiko Kyo), la maîtresse de Komajuro.

Cette arrivée est un beau moment de comédie, plus long que dans la version précédente du film, dont il retrouve toutefois la grâce et la vivacité. Les comédiens sont plus soucieux de séduire les jolies femmes que de promouvoir le spectacle.

A travers ces personnages, Ozu s’aventure même dans une forme de burlesque : l’un des comédiens, qui court après la fille d’un barbier, espère bien parvenir à ses fins en voyant la jeune femme seule dans la boutique. Sauf que cette dernière appelle sa mère à la rescousse, une solide barbière qui offre à l’acteur une séance de rasage dont il gardera les traces sur les joues.

L’inversion des rôles entre chasseur et proie, le jeu de contraste entre la gracieuse fille et sa virago de mère renvoient au comique des années 20, auquel Ozu n’est pas forcément associé.

Pourquoi s’arrêter dans cette petite ville, où les recettes sont si maigres ? Komajuro disparaît tous les soirs, et se rend dans un bar. Là, il retrouve une femme, jadis aimée, et son grand fils, qui l’appelle "mon oncle". Pendant ces quelques jours, Komajuro profite du temps passé avec ce jeune homme qu’il n’a pas vu grandir, mais qu’il a toujours aimé.

Cette relation permet à Ozu d’interroger les liens qui existent entre deux générations, l’une d’avant, l’autre d’après-guerre. Le fils, Kiyoshi (Hiroshi Kawaguchi) sera sans doute ingénieur ; ses parents, d’origine modeste, nourrissent de grands espoirs pour la réussite sociale de leur enfant dans ce nouveau monde, taillé pour la jeunesse.

Komajuro fait partie du monde d’avant : le monde du kabuki, représenté par des comédiens qui arpentent la ville en transpirant abondamment dans leur costume, caricatures comiques des samouraïs de jadis qui n’attirent plus les spectateurs, le monde du spectacle itinérant, un peu en marge, que Ozu filme avec tendresse, sur scène et dans les coulisses où le spectacle continue.

Ce théâtre est décati dans "Histoire d’herbes flottantes", où le bâtiment prend l’eau, donnant l’occasion à Ozu de filmer, comme il le fait si bien, les ustensiles de cuisine, les bols et les saladiers qui recueillent la pluie. Ce goût pour les objets si simples du quotidien reste prégnant dans "Herbes flottantes".

Le film ne s’ouvre-t-il pas sur l’image d’une bouteille, qui offre au premier plan un écho du phare, placé au second plan ? Ozu sait à merveille disposer ces objets pour structurer le cadre, lui donner de la profondeur ou jouer sur les contrastes. Le passage à la couleur lui a permis de creuser encore cette dimension picturale, en ajoutant des touches colorées dans les pièces.

A cette histoire de famille s’ajoutent les histoires d’amour et de jalousie, de pureté et de désir. Dans "Histoire d’herbes flottantes", la jeune Ayko, chargée par Sumako de séduire le fils de Komajuro, attirait le jeune homme dans un champ. Silhouette légère se découpant sur la masse compacte du ciel, elle surgissait de derrière un arbre, une véritable apparition, ange ou démon.

Vingt ans plus tard, Ozu réinvente la scène de séduction, en plaçant les deux amants dans le théâtre, qui devient le lieu de vie par excellence. Plus audacieux, il joue avec les ombres et les lumières pour filmer un baiser que la version muette avait chastement évité.

Le désir est d’ailleurs au centre d’"Herbes flottantes", plus encore que dans les autres films d’Ozu. Le jeune couple est plus démonstratif que les héros habituels du cinéaste japonais, et Komajuro se trouve pris en étau entre deux femmes, deux modes de vie.

Les femmes du théâtre fument, sortent, boivent. Sumak- peut-être ainsi nommée en hommage au film de Mizoguchi, "L’Amour de l’actrice Sumako" (1947) - a la beauté et la violence des grandes héroïnes tragiques, tandis que Oyoshi (Haruko Sugimura) incarne un idéal plus domestique. Partir sur les routes, ou retrouver sa place au sein du foyer familial ?

La fin du film est empreinte d’une mélancolie profonde, au moment où la troupe se sépare. La scène, extrêmement pathétique et émouvante dans la première version du film, où les personnages chantent ensemble avant que l’un d’entre eux, en larmes, quitte la pièce, est raccourcie dans la version de 1959. Le chant reste hors-champ, tandis que le cinéaste se concentre sur la douleur d’un grand-père qui voit son existence s’effriter.

Comme toujours, à la fin, il y a un train. Le monde n’est pas figé, et si le temps passe, le rêve est encore permis. Le train qui avance dans la nuit, avec ses deux feux de signalisation rouge, est une promesse. S’il sépare certains, il réunit d’autres, et nous permet pour un temps de croire que le spectacle peut continuer.

 

Anne Sivan         
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