"Mondrian figuratif", le titre interpelle dès lors qu'il se rapporte au peintre néerlandais Piet Mondrian (re)connu comme l'un des pionniers de l’abstraction géométrique et co-fondateur du mouvement De Stijl.
Et cependant tel est le sujet de l'exposition-événement proposée par Musée Marmottan-Monet avec la collaboration du Kuntsmuseum Den Haag de La Haye en retraçant, à partir des oeuvres réalisées entre 1891 et 1920, l'itinéraire du peintre par une l'approche d'une nouvelle réalité figurative qui le conduit aux fameuses compositions en damier. Evènement car elle présente une soixantaine d'oeuvres qui, outre leur qualité intrinsèque, sont pour une grande partie inédites en France, dont certaines faisant l'objet d'un dernier déplacement en raison de leur fragilité, et elles appartiennent à un florilège résultant de la sélection opérée par l'artiste lui-même pour la collection de son ami et mécène Salomon B. Slijper, laquelle a été léguée au Kunstmuseum. De plus, elle démontre que le raccourci saisissant présenté en préambule entre le "Lièvre mort" de 1891, nature morte inscrite dans la tradition de la peinture hollandaise du 17ème siècle, et la "Composition n° IV" de 1914, n'est synonyme ni de rupture ni d'opposition entre figuration/abstraction.
La démonstration est assurée par le parcours en sept sections chronologiques élaboré par Marianne Mathieu, directeur scientifique du Musée Marmottan Monet, qui en assure le commissariat, démonstration soutenue par la scénographie éclatante articulée par de judicieux points de fuite réalisée par Anne Gratadour Mondrian figuratif : saisir l'essence de la nature pour rendre visible le spirituel dans l’art
Soutenant l'affirmation que Piet Mondrian est un grand maître de la peinture figurative du 20ème siècle, Marianne Mathieu retrace le cheminement conceptuel du peintre pour atteindre l'essence des choses, telle que prônée par la théosophie à laquelle le peintre a adhéré en ralliant la Société théosophique des Pays-Bas en 1909, dans un art qu'il qualifiait de "superréaliste".
A la représentation réaliste se substitue une abstraction transcendantale par la quête "d'harmonie à travers l'équivalence des lignes, non des lignes qui paraissent droites mais des lignes sensibles, des couleurs et des surfaces" et la révélation du monde à travers la couleur et son rayonnement menant à "la vision véritable de la vérité".
Celle-ci se traduit par l'éclatement de la forme décorative et l'affranchissement progressif des règles de la perspective, cette vision de l’espace qui soutient une profondeur illusionniste, et des repères figuratifs pour expérimenter et l'élaboration, néanmoins à partir d'un substrat figuratif certes non aisément identifiable, d'une nouvelle réalité plastique.
Cette évolution intervient principalement par la voie de la peinture de paysage, genre de prédilection de Mondrian Ses oeuvres de jeunesse s'inscrivent dans le sillage de l'’école de La Haye avec des panoramiques aux teintes sourdes et dans lesquels sont déjà décelables les lignes-forces de l'horizontale et de la verticale qui sont qualifiés d'atmosphériques ressortant au genre du paysage intérieur ("Paysage du soir sur le Gein","Arbres au bord de l'eau", "Arbre", "Champ avec arbre au crépuscule"). Puis le cadrage se resserre sur un motif, dont celui typiquement batave et récurrent du moulin, qu'il va traiter concomittament de manière abstraite (""Composition ovale en plans", "Tableau N°4/Composition N°VIII / Composition n°3") et figurative ("Moulin sous le soleil", "Moulin le soir","Moulin à vent le soir").
Entre deux, et avant de filer vers le néoplasticisme, Mondrian a exploré les aplats et la couleur dans une interprétation libre du fauvisme et du luminisme ("Moulin dans la clarté du soleil", "Dévotion", "Dune II", 'Dune III", "Phare à Westkapelle").
Tout comme il a interprété à sa façon le cubisme avec une éblouissante palette chromatique lumineuse ("Clocher en Zélande" et "Moulin").
En 1919, la conversion est achevée ouvrant la voie à ses emblématiques toiles au format proche du carré et aux damiers de couleurs vives même s'il ne renie pas la coexistence figuration/abstraction telle qu'il la représente dans son autoportrait officiel posant en buste devant une de ses "compositions". |