Seul en scène de Yannick Jaulin accompagné par le musicien Alain Larribet. Comme Philippe Caubère et son petit monde marseillais, Jean-Pierre Bodin, son presque voisin, et son banquet de la Sainte-Cécile à Chauvigny, Yannick Jaulin a depuis des années rendu célèbre au-delà de la Vendée et bien plus loin que le Marais Poitevin, voire la Charente, son village de Pougne-Hérisson sis évidemment dans les Deux-Sèvres.
Conteur, diseur, anartiste du bocage, faiseur d'histoires, parfois chanteur et toujours ami du genre humain, Yannick Jaulin aime, de temps à autre, posé ses pieds pleins de glaise poitevine, aux Bouffes-du-Nord, endroit approprié pour qu'il y amplifie à chaque fois sa geste en patois.
"Ma langue maternelle va mourir et j'ai du mal à vous parler d'amour" est un spectacle qui lui arrive à point comme une soixantaine qu'il ne fait vraiment pas. Sans renoncer à décrire les aventures des gars de son pays dans des histoires savoureuses, il a décidé de se pencher sur sa langue, ce patois, qu'il tient de ses grands-parents et que ses petits enfants ne parleront plus.
Il s'adresse avant tout à un public qui, s'exprimant dans une des grandes langues du monde se moque bien du sort des quelques sept mille idiomes voués à une inéluctable disparition.
Pour ce faire, il a convoqué Claude Duneton, l'inventeur du "parler croquant", défenseur de la langue des petites gens face aux locuteurs des pouvoirs (politique, judiciaire, économique). Dans sa besace à concepts, il y aura aussi Pierre Bourdieu, Tobie Nathan, Roland Barthes... Tous critiques du parler dominant, du parler qui par volonté ou par bêtise transforme la majorité des hommes en dominés.
Yannick Jaulin est un conteur en colère. Il voit les méfaits du parler unique, sur son parler à lui comme sur celui de son musicien, Alain Larribet, le Béarnais dont on entendra les très belles compositions.
Attention ! Cette leçon n'est pas un pensum, tout au contraire. S'il est sérieux quand il s'emporte contre le langage aseptisé qui a triomphé partout sur la planète, il sait hurler avec distance, jamais à cours d'un trait d'esprit. Amoureux des mots, il s'énerve quand ceux-ci n'ont plus de jus en eux, plus de sens cachés où ils pourraient se ressourcer. Ce qui nourrit son cri, c'est tout ce qui est fade, sans goût.
Sur la scène, il n'est plus là pour un bon mot mais pour des milliers dont le sens est perdu et qu'il tient à bout de lèvres pour qu'ils n'agonisent pas. Le combat est-il perdu ? Non, tant qu'il y aura des mots, on pourra écrire des histoires. Et ce plaisir infini de créer des histoires sera l'apanage des hommes libres, des hommes qui rêvent... Garder les mots, construire des histoires avec, c'est "enraciner nos rêves dans la vraie vie".
Voilà la haute ambition de Yannick Jaulin. Et il est en bonne voie de réussir comme le prouve ce très beau spectacle aussi poignant que drôle, où il fait rire beaucoup car rire, c'est encore le meilleur moyen pour ne pas pleurer. Jaulin est certainement un pessimiste mais il sait entretenir la petite flamme d'espoir dont on a grandement besoin aujourd'hui.
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