L'intérêt des expositions proposées par le Petit Palais tient à une politique muséale éclairée qui privilégie les expositions inscrites dans une relecture de l'art à travers les artistes pour (re)découvrir des petits et des grands maîtres en leur temps éclipsés par les "blockbusters" surmédiatisés.
Ainsi, sa programmation 2019-2020 se place sous le signe d'une saison napolitaine avec Luca Giordano pour une incursion dans la peinture baroque et une exposition-rétrospective inédite en France intitulée "Vincenzo Gemito - Le sculpteur de l'âme vénitienne" et présentée avec la collaboration du Museo Nazionale di Capodimonte à Naples consacrée à l'oeuvre d'un précurseur du vérisme, équivalent transalpin du naturalisme, qui émerge à la fin du 19ème siècle. Celles-si se déploient dans un parcours chronologique superbement scénographié par un jeu de lignes de fuite et des reproductions photographiques d'archives de de la topographie et de l'architecture de la cité génoise réalisée par le Studio Tovar/Alain Batifoulier et Simon de Tovar .
Vincenzo Gemito, du vérisme novateur au retour à l'antique en passant par le maniérisme
Génie précoce alors même que non issu du sérail artistique, mais toutefois non autodidacte car formé Académie des Beaux-arts de Naples, Vincenzo Gemito qui crée sa première oeuvre à l'adolescence "Le joueur de cartes" qui semble autofictionnel en ce qu'il représente un de ses homologues, enfant des rues qui qui lit son avenir dans les cartes.
Et à 25 ans, il accède à la notoriété par sa participation remarquée au Salon à Paris en 1877 puis à l’Exposition Universelle de 1878 en se démarquant de manière radicale de la statuaire académique par son traitement réaliste d'un thème connu, celui du pêcheur napolitain en bronze, dont est également présenté le plâtre préparatoire.
Ainsi qu'en atteste la mise en regard avec les oeuvres de sculpteurs français tel François Rude ("Jeune pêcheur napolitain jouant avec une tortue") et Jean-Baptiste Carpeaux ("Pêcheur napolitain à la coquille") qui ressortent à l'imagerie pittoresque résultant d'une construction culturelle.
Et Vincenzo Gemito inscrit son nom dans l'Histoire de l'art comme précurseur du vérisme, équivalent transalpin du naturalisme français, et dont la thématique de prédilection est celle de l'enfance avec des bustes grandeur nature en plâtre, des fillettes et garçonnets plébéiens.
Tels celui retenu pour l'affiche de la monstration et celui de la petite fille au voile retenu par les doigts évoquant une juvénile Madone, qui révèle, comme indiqué par jean-Louis Chamion, "un art tout en tendresse et vulnérabilité absolue"
Egalement soucieux de réussite et en quête de mécénat et de clientèle privée, il réalise les bustes de personnalités dont celles du monde artistique de son temps qui présentent une particularité significative de sa marque de fabrique, celle des bords déchirés,
Après des événements dramatiques dans sa vie privée et une altération de ses facultés mentales, Gemito poursuit son activité en reprenant ses sujets de prédilection dont le "Petit pêcheur sur un rocher" mais dans un style maniériste qui tend à la mièvrerie.
Certaines pièces - "Vénus", "Jeunesse de Neptune" - annoncent sa troisième période, celle du retour à l'antique qui correspond à une inflexion commune aux grands noms de la sculpture moderne, de Rodin, Giacometti et Bourdelle, illustrée pour ce dernier par une récente exposition dédiée en son musée ("Bourdelle et l'antique - Une passion moderne) sur le mode d'une exploration du patrimoine archaïque.
L'exposition permet également de constater le talent exceptionnel de dessinateur émérite de Gemito avec une belle sélection d'oeuvres graphiques dont le portrait des femmes aimées et ceux des enfants Bertolini pour lesquels les commissaires appellent l'attention sur leur résonance avec les tableaux du peintre Balthus. Une superbe exposition.
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