Monologue dramatique d'après le récit éponyme de Michèle Manceaux interprété par Nathalie Grauwin dans une adaptation et une mise en scène de Philippe Honoré.
Michèle Manceaux a été pendant trente ans l'amie de l'auteur de l'Amant. Et, puis un jour de 1984, elle reçoit un coup de téléphone de Marguerite Duras qui lui cherche querelle. Une mauvaise querelle.
Elle lui reproche d'avoir donné sa date de naissance dans un de ses articles. La journaliste lui rappelle que ce n'est pas un scoop et qu'il suffit d'ouvrir un dictionnaire pour la trouver.
Mais rien n'y fait : pour bien mener à bout une mauvaise querelle il faut être de totale mauvaise foi. Voilà ! En quelques minutes péremptoires, une grande amitié n'est plus. "L'amie" n'est plus une amie... Tout s'arrête pas même sur un malentendu, mais plutôt sur un trop bien entendu.
Sur scène, dans "L'Amie ", Michèle Manceaux est le plus souvent assise dans un large fauteuil rouge qui occupe le centre de la scène. Elle s'interroge sur cette amie qu'elle n'a pas revue entre ce mémorable coup de fil et sa mort une douzaine d'années après en 1996. Cruelle situation que cet état impossible de "non-amitié".
Michèle Manceaux ne cesse d'essayer de comprendre ce qui s'est passé, d'autant que pendant les douze dernières années de sa longue existence, Marguerite s'est transformée en super-star de la littérature et en monstre sacré médiatique à l'image d'un Jean-Luc Godard hier ou d'un Michel Houellebecq aujourd'hui.
Alors que Marguerite vit aussi ses années "Yann Andrea", Michèle se doute qu'elle a été oubliée par la Dame de la rue Saint-Benoît. Elle ne pourra s'extraire de sa rumination qu'en consacrant un livre à cet événement qui reste pour elle improbable.
"L'Amie", c'est donc un texte sur une absence toujours douloureusement présente. Avec peu d'éléments, ce fauteuil central et une chaise-tabouret sur lequel sont posés une bouteille de vin et un verre, Nathalie Grauwin s'est glissée dans la peau de Michèle Manceaux. Elle joue sa désillusion en s'y jetant corps et âme.
La plupart des spectateurs trouvera des correspondances avec des histoires voisines d'amitiés trahies et sera conquis à la fois par l'analyse de Michèle Manceaux et le jeu de Nathalie Grauwin.
Seul bémol : les aficionados de Duras trouveront que Philippe Honoré n'a, dans sa mise en scène, donné aucune vérité "durassienne". Ne serait-ce que par la couleur du vin bu largement par Michèle. Si elle a été l'amie intime de Marguerite, elle ne peut qu'être encore sous l'emprise de ce Pouilly fumé chère à la réalisatrice d'"India Song". Pareillement, les musiques qui accompagnent la pièce n'ont rien à voir avec les musiques de Carlo d'Alessio qui firent le charme des grands films de la dame au col roulé...
Nonobstant ces critiques bénignes à destination de ceux qui pratiquent le Duras "première langue", "L'Amie", interprétée subtilement par Nathalie Grauwin qui y met visiblement beaucoup d'elle-même, est une belle leçon qui montre qu'une amitié déçue se vit aussi mal, voire plus mal, que la fin d'un amour. |