Tragi-comédie conçue par Arthur H et Wajdi Mouawad, texte et mise en scène de Wajdi Mouawad, avec Marie-Josée Bastien, Gilles David, Arthur Higelin, Pascal Humbert, Isabelle Lafon, Jocelyn Lagarrigue, Patrick Le Mauff et Sara Llorca.
Pour apprécier "Mort prématurée d'un chanteur populaire dans la force de l'âge", il ne faudra pas venir avec des préjugés sur les "chanteurs", notamment ceux qui veulent briser les barrières entre les principaux arts vivants, tels le théâtre, la danse ou l'opéra.
Il faudra aussi savoir que dans son domaine de prédilection, Arthur H accomplit des performances sur scène toujours louées par le public et la critique. Pour ses 25 ans de carrière, il a voulu se remettre totalement en question et concevoir un spectacle qui aurait plus à voir avec le théâtre qu'avec la musique. Sa rencontre avec Wadji Mouawad l'aura conforté dans son entreprise et l'aura rendue possible.
Arthur aime le danger et il le prouve d'emblée : il n'est pas équipé, comme très souvent désormais le sont les "vrais" comédiens, d'un micro. Avec sa voix rauque qu'il sait moduler quand il en est équipé, il n'est pas forcément facile pour lui de trouver immédiatement son "timbre théâtral".
On s'en rendra vite compte quand il passe derrière son piano et chante avec un micro : il a là un quart de siècle d'expérience et l'on comprend, même si on ne l'a jamais vu dans un récital, qu'il maîtrise pleinement son art.
C'est donc ici un exercice risqué auquel il se livre et qui est d'autant plus compliqué que la première partie, celle où Alice, le chanteur qu'il est supposé incarner, est en chute libre.
Conçu en deux parties nettement séparées, que l'on pourrait appeler d'une part, la "décadence" et de l'autre, la "rédemption", "Mort prématurée d'un chanteur populaire dans la force de l'âge" repose volontairement sur les clichés accolés souvent aux "rock stars" : mégalomanie, misanthropie et solitude absolue, tout ça amplifié par des addictions.
Si l'on peut faire un reproche à ce grand album bédé qui se déroule sur la scène, c'est d'être un peu long et de pouvoir lasser ceux qui ne verront pas que son premier degré est assumé pleinement.
Dès lors, quand arrive le point de rupture, avec cette fausse mort grand-guignolesque, Arthur H et Wadji Mouawad franchissent avec allégresse la limite du bon goût : sortant de son cercueil, dans une tenue verte flashy, prêt à vomir, Alice est au sommet de son improbable destin. Un destin qu'il va devoir expier dans la seconde partie du spectacle, celle où Arthur H révèlera qu'il peut devenir sur une estrade de théâtre quelqu'un d'aussi passionnant que ce qu'il est sur les scènes de music-hall.
Pour parvenir à ce résultat, Wadji Mouawad a conçu un spectacle avec beaucoup de saynètes utilisant beaucoup d'effets différents. On n'est pas loin d'un spectacle où il a été demandé beaucoup au scénographe (Emmanuel Clolus) et à tous les intervenants, notamment aux maîtres des lumières (Eric Champoux), des sons (Michael Maurer et Bernard Vallèry), des costumes (Emmanuelle Thomas) ainsi que des maquillages (Cécile Kretschmar).
On parlait tout à l'heure d'une "bande dessinée", sans y rien voir de péjoratif, mais "Mort prématurée..." est également un beau livre d'images qui frappent par leur netteté elle aussi assumée.
Si l'on s'intéresse à la distribution artistique, on retrouve également un parti pris pour les choses tranchées. Aucun des personnages n'est tiède et si l'on est, par exemple, surpris par la "fan québécoise" qui pourrait sembler caricaturale, dans la première partie, et qui devient par la suite totalement lumineuse quand elle est la seule à supporter encore Alice.
Wadji Mouawad fait vivre toute une galaxie de proches du chanteur qui vont et viennent en fonction de leurs relations avec lui. Il y a un côté "Tintin" avec ses personnages réapparaissants.
Tous semblent se prêter au jeu de bonne grâce et avec une évidente complicité, à commencer bien sûr par Marie-José Bastien, qui est l'âme de la pièce, par Isabelle Lafon, en Diesel l'attachée de presse du chanteur, Sarah Llorca en Majda sa petite amie. On n'oubliera pas non plus la prestation puissante de Gilles David ainsi que celles de Pascal Humbert, par ailleurs auteur des musiques originales, de Jocelyn Lagarrigue et de Patrick Le Mauff.
Au final, les fans d'Arthur H devraient l'apprécier dans ce nouveau registre, où il s'avère comme d'ordinaire très généreux dans sa prestation. Quant aux autres, s'ils acceptent quelques faiblesses au cœur de la première partie, ils ne pourront qu'être conquis définitivement par une seconde partie plus sombre et qui finit par générer une vraie émotion. |