Réalisé par Timothy et Stephen Quay . Grande Bretagne/Japon/Allemagne. Drame. 1h45 (Sortie le 4 décembre 2019 - 1ère sorte 23 février 2000). Avec Mark Rylance, Alice Krige, Gottfried John, Daniel Smith, Joseph Alessi, Jonathan Stone, César Sarach et Peter Lovstrom.
Quand il franchit le seuil de l'Institut Benjamenta, école supposée former des domestiques, Jakob von Gunten pénètre dans un univers triste, sordide et sans avenir.
Cet alter ego de Joseph K, inventé par Robert Walser, va, sous la patte des frères Thimothy et Stephen Quay, incarner l'homme sans qualité cher à Musil englué dans ce cauchemar qu'est la vie. Ce n'est pas un hasard si le titre complet du film est "Institut Benjamenta ou Ce rêve qu'on appelle la vie humaine"
A toutes ses références germaniques assumées, les frères Quay ajoutent une petite touche anglo-saxonne, celle qui passe par "Bartleby" de Melville et "Brazil" de Terry Gilliam.
Ce qui pourrait n'être qu'une parodie très formelle de l'expressionnisme plus près de Pabst que de Murnau et de Lang bifurque du côté du gothique anglais, de Mary Shelley, du Dracula de Tod Browning.
Dans ce noir et blanc incertain, brumeux, le personnage pâle presque transparent de Lise Benjamenta fait basculer le cauchemar de Jakob dans un rêve lui aussi plein de tremblements et d'incertitudes. Devant cette icône diaphane et évanescente, s?ur de Johannes Benjamenta qui enseigne à ses côtés, l'homme de rien promis à pas grand-chose découvre des sentiments au-dessus de sa condition...
On aura désormais compris que cet "Institut Benjamenta" des frères Quay est aussi mystérieux et peu commun que cette fratrie sans prénoms. Qu'en termes cinématographiques, on voit peu de propositions analogues, sauf peut-être - mais vraiment sur un mode mineur - les films de Guy Maddin.
Pas très loin du "cinéma expérimental" tout en se revendiquant dans la cour de la fiction en affichant une durée de 105 minutes, "Institut Benjamenta" n'est pas non plus une curiosité. Il appartient à une voie qu'aurait pu emprunter l'invention des Frères Lumière, à savoir la description de l'inconscient, que Freud effectuait pratiquement au même moment où Méliès ajoutait la dimension onirique à la simple représentation du réel par les opérateurs Gaumont ou Pathé.
C'est peu dire que ceux qui adhèreront au cinéma des Frères Kay prendront ici une sacrée claque et vivront une heure et quarante cinq minutes en apnée totale dans la tête de Jakob en partance pour le pays des songes cruels et banals.
On refusera avec une mauvaise foi militante les objections des détracteurs qui trouveront le film "abscons" et "intellectuel", car, au contraire, on est devant un pur divertissement, un joyau du septième art devant lequel on ne peut que poser genou à terre.
Face à tout ce qu'on supporte habituellement dans les salles obscures, "Institut Benjamenta" des frères Quay est un rayon de lumière sulfureux et incandescent. Un vrai classique bien mieux armé pour le rester qu' "Erasehead" de David Lynch, par exemple.
Il faut le redécouvrir et remercier Manuel Attali de "Ed Distribution" d'avoir le courage et la foi de permettre aux cinéphiles fous et aux curieux d'en profiter. |