Après "La Mécanique des dessous" et "Tenue correcte exigée - Quand le vêtement fait scandale"*, Denis Bruna, conservateur en chef au Musée des Arts Décoratifs en charge des collections Mode et Textile antérieures au 19ème siècle, assure le commissariat d'un troisième volet consacré au rapport entre le corps et ce, à partir d'une pièce vestimentaire ciblée.
En effet, aux confins de l’histoire sociale et de l’histoire des modes, l'exposition "Marche et démarche - Une histoire de la mode" s'articule autour de la chaussure, destinée à la protection du pied notamment dans sa fonction locomotrice. Mais, au fil du temps, sa destination première connaît de nombreuse novations, la chaussure devenant signe de distinction sociale, attribut culturel et accessoire de mode, ce qui a incité Denis Bruna à s'affranchir de la chronologie en optant pour une approche et des appariements singuliers déployés ans un parcours dynamique composé de focus analytico-synthétiques.
Ainsi propose-t-il une passionnante exposition réflexive d'autant plus ambitieuse en raison de son envergure spatio-temporelle qui intègre toutes les époques et toutes les latitudes avec un déploiement foisonnant de 500 pièces, avec, outre les chaussures, des œuvres et objets d'art, photographies, films et publicités en relation avec les collections du musée.
Celle-ci est soutenue par une esthétisante scénographie de l'architecte/designer Eric Benqué basée sur la relation entre les objets, l'espace et la diversité des vitrines qui concourt à une réussie une mise en scène symbiotique.
La chaussure mise au pas
Du défilé de chaussures de ville à la mise en regard des chaussures "professionnelles", du quotidien au fantasmatique en passant par la chaussure "importable", le panorama s'avère aussi foisonnant qu'échevelé.
Ainsi, se dressent les chaussures professionnelles, de la botte militaire et du godillot du troufion au chausson de ballerine en passant par la basket du sportif, une section dédiée à la chaussure d'artiste avec le prototype créée par la Maison Clairvoy pour le clown Warren Zavatta et une des vraies tatanes de Charlot portée par Charlie Chaplin.
Et la chaussure dans son acception ordinaire n'empêche pas le rêve avec les souliers sublimes par l'imaginaire dans les contes de fées, de la botte de sept lieux du Chat botté à la pantoufle de vair/verre de Cendrillon.
La taille du pied est indissociable de la chaussure et l'adorable pied mignon du bébé, qui ouvre la monstration avec, entre autres, une superbe layette royale composée d'une nesembe de chaussures, nourrit le culte du "petit pied" qui se révèle ne pas être l'apanage de la Chine puisqu'il rivalise notamment avec les étroits escarpins du 18ème siècle français figurant dans la vitrine "Idéal féminin pour femmes immobiles".
Parmi les obsessions figure celle du défi de la hauteur, des anciennes socques japonaises aux semelles compensées des années 1970 et se déploie avec l'apposition de talons vertigineux dès le 19ème siècle. Et le "stiletto" contemporain ne constitue pas une novation mais s'inscrit dans la filiation, par exemple, des chopines des courtisanes vénitiennes de la Renaissance.
De l'obsession au fantasme, il n'y qu'un pas(sic) et un autre encore pour le fétichisme du pied, registre dans lequel les créateurs, couturiers et chausseurs ne manquent pas d'imagination tel, par exemple, Christian Louboutin avec la sandale "Fetish Fakhir" à clous inspirée du patin de fakir et le modèle "Ballerina Ultima" détournant le chausson de danseuse. L'extravagance formelle est au goût du jour avec des modèles qui procèdent de la mise en scène de soi et des créations de pièces uniques par des artistes tels les "Horseshoes" d’Iris Schieferstein avec le sabot de cheval devenant bottine, les chaussures en os de volaille de la série "Vanity Shoes" de Corine Borgnet ou en plumes de Vicente Rey, les "Météorite Shoes" du Studio Swine et la collection"O" de Benoit Méléard en hommge au sculpteur Calder.
Et quand les architectes, dont Zaha Hadid ("Nova shoes"), désigners comme Marloes ten Bhömer ("Noheelshoes") et les couturiers à l'instar de Long Tran ("Syzygy") revisitent de manière expérimentale les formes, matières et structures, la chaussure devient un objet conceptuel voire une sculpture moderniste.
A ne pas rater l'expérience in situ avec le salon d’essayage qui propose d'essayer les modèles créée spécialement pour l'occasion par le bottier Fred Rolland et l'entrée libre à la Bibliothèque qui convie à une découverte des collections du musée. |