Réalisé par Vincent Gérard, Cédric Laty, Bernard Marcadé et Camille Zéhenne. France. Documentaire. 52 minutes (Sortie le 15 janvier 2020). Les quelques intréprides qui vont parler de "Barthes*" de Vincent Gérard, Cédric Laty, Bernard Marcadé et Camille Zéhenne ne devront pas oublier l’astérisque contenu dans le titre...
Très important, ce petit signe ! Car il explique entièrement les cinquante minutes qui vont suivre : "Sous ce nom du gascon barta (zone humide auprès d'une rivière ou d'un fleuve) on désigne les terres basses inondées chaque hiver par l'Adour". Les quatre mousquetaires qui ont signé ce moyen métrage vont donc filmer un fleuve et ses crus.
Long de 307 kilomètres, L'Adour prend sa source dans les Pyrénées, précisément au Pic du Midi de Bigorre et se dirige vers l'Atlantique, passe par Tarbes et se jette dans la Mer à Bayonne. Attention ! S'il y aura bien des vues aériennes et des prises de vue à bord de canots ou hors-bord, il ne faut pas s'attendre à un commentaire de documentaire à l'ancienne.
Car "Barthes*" est illustré vocalement par... Roland Barthes et ses célèbres "Mythologies" (1957). La voix grave et autoritaire de Barnard Marcadé lit de larges extraits du célèbre essai du sémiologue mort renversé rue des Ecoles, et qui passa son enfance justement à Bayonne.
Sur des images du fleuve, et quelques digressions (sur un groupe de vieux coureurs cyclistes ou sur une strip-teaseuse délicieusement coquine), on pourra retrouver quelques "mythologies" qui ont fait la France d'hier et perpétue celle d'aujourd'hui : "le Guide bleu", "Le Tour de France".
Ici, le texte s'entend et s'écoute. Il occupe l'image, reposante, apaisante, répétitive mais jamais lassante. Au contraire, l'incongru - comme cette belle quinquagénaire adepte du ski nautique - voisine avec l'attendu. Si l'on est charmé et totalement dépaysé par cette double ration de "Barthes" (image et texte), on ne manquera de souscrire à cet humour pince-sans-rire, à cette provocation paisible qui pendant cinquante minutes confronte le spectateur à un fleuve bien tranquille – même dans ses débordements.
Pour ajouter dans l'insolite et le loufoque, "Barthes*" de Vincent Gérard, Cédric Laty, Bernard Marcadé et Camille Zéhenne utilisent en permanence la "Gnossienne n°1" d'Erik Satie dans différentes versions. Entre l'eau qui coule et le cool du piano, on est délicatement emporté dans un ailleurs raisonneur où reviendrait la voix démiurgique du philosophe ironique pour donner du sens à ce voyage inexorable d'un fleuve qui va et veut se perdre dans l'Océan.
Sans doute, mieux vaut que l'impatient avide d'images saccadées et de fictions convenues ne tente pas l'aventure. Pour les autres qui s'y risqueront le résultat n'est pas garanti. Peut-être seront-ils irrités par le procédé mais s'ils tiennent fermement le cap, ils pourront dire qu'ils ont vu quelque chose de vraiment original.
En complément de programme, "Woods and Waters" d'Antoine Parouty devrait leur procurer un plaisir parallèle. Ce court-métrage qu'il est recommandé de voir dans le noir total suit aussi une rivière. On entend les clapotis des rames dans une zone boisée. Le film se veut une référence au photographe américain George Shiras (1859-1942) qui fut un très grand photographe naturaliste et animalier. Dans ce très beau clair-obscur où peu à peu naîtra le jour, et apparaîtront deux cheminots, s'élèvera le chant magnifique du "Hangman" du compositeur américain John Jacob Niles.
A l'instar de "Barthes*", celui qui aura surmonté sa peur de l'ennui récoltera de beaux fruits grâce à "Woods and Waters" d'Antoine Parouty : car cheminer avec George Shiras et John Jacob Niles, cela vaut tous les parcours balisés recommandés par les tenants de la culture aseptisée.
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