Monologue dramatique écrit par Sigrid Carré-Lecoindre et interprété par Lena Paugam. Le monologue dramatique intitulé "Hedda" nécessite - et justifie - et ce, tant par l'écriture de Sigrid Carré-Lecoindre que l'interprétation de Lena Paugam, un liminaire, qui ne ressort pas à la prévention dissuasive mais à la nécessité et à la fonction du théâtre quand il traite de thématiques sociétales. Et dont il est difficile de sortir indemne.
Présentée comme une histoire d’amour tragique et "un spectacle sur la peur qui se vit dans le secret de l’intimité amoureuse", la partition écrite spécifiquement pour son interprète et avec sa collaboration aborde les violences conjugales appréhendées comme la partie émergée d'un iceberg, la manifestation extrême d'une situation relevant de l'intime dans une relation de couple qui demeure opaque et impensable par ceux qui n'y sont pas confrontés.
Cela étant, dans son déroulement le drame s'inscrit dans le cycle classique de la violence défini par les psychologues mais dont l'origine ne consiste pas en une accumulation de tensions mais en un élément déclencheur, celui de la prise de conscience d'une dévalorisation insupportable qui transforme en colère puis en rage.
Hedda voue un amour immodéré et absolu au péril non seulement de son intégrité physique et mentale mais de sa vie à un homme d'un trouble de la personnalité narcissique auquel s'ajoutent le syndrome du héros et le fantasme de Pygmalion qui trouve en elle le sujet idéal - bègue, timide, complexée, manquant d'assurance et de confiance en soi - pour accomplir son grand oeuvre de survalorisation de soi.
Mais son entreprise, si elle conduit à la révélation d'elle-même pour Hedda qui a ainsi trouvé son prince charmant qui l'a réveillé d'une longue léthargie intérieure, elle dépasse ses espérances autocentrées en le reléguant à la seconde place sans que soient reconnus ses mérites ce qui constitue un échec insupportable et insurmontable. Dans un appartement avec une immense pièce vide et vue sur une salle de bains, métaphore de l'espace mental victimaire scénographié par Juliette Azémar, Lena Paugam porte avec une rare intensité dramatique un texte travaillé au scalpel, ciselé dans l'aigu et le poignant, qui croise le récit aux accents durassiens d'une narratrice extradiégétique et celui introspectif du personnage-titre muré dans la peur et le silence, les deux n'étant peut-être que le même diffracté. Ton unique, celui de celle qui sait que franchi le point de non-retour, elle sombrera en toute conscience dans l'abîme, éloquence sensible de l'incommunicabilité de la souffrance et incarnation transcendée, elle plonge l'auditoire dans l'effroi, la stupeur et la sidération de l'impuissance. Un nécessaire signal d'alerte.
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