Réalisé par Ala Eddine Slim. France/Tunisie. Drame. 2h (Sortie le 19 février 2020). Avec Abdullah Miniawy, Souhir Ben Amara et Khaled Ben Aissa.
Tout récemment, le cinéma tunisien s'aventurait avec succès du côté de la comédie avec "Un Divan à Tunis" de Manele Labidi.
Aujourd'hui, c'est aux limites de l'étrange et du fantastique qu'il navigue avec "Sortilège" d'Ala Eddine Slim.
Tout de suite, il faut avertir les spectateurs rétifs aux longs plans séquences et ceux qui n'aiment pas qu'un film apparemment réaliste bascule soudainement hors de la logique : "Sortilège" risque de leur déplaire.
Car Ala Eddine Slim pratique un cinéma radical dont il est entièrement responsable puisqu'il est aussi son propre monteur.
Ce qui fera unanimité, c'est sa capacité à proposer de très beaux plans sans jamais verser dans un formalisme maniéré. Ainsi, s'il filme une forêt, il s'attachera à la rendre vivante en filmant les branches sujettes au vent sans que cela soit montré avec ostentation.
Osant mettre sur l'écran des choses incongrues qui échappent à tout réalisme, Alan Eddine Slim peut être comparé à certains cinéastes ésotériques ou symbolistes.
Ainsi, vient aux lèvres le nom d'Apichatpong Weerasethakul, le cinéaste thaïlandais qui obtint la palme d'or à Cannes, pour "Oncle Bonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures", dont les films baignent aussi dans un climat fort en symboles. On pourrait tout aussi bien citer Alejandro Jodorowsky, lui aussi avide d'images surprenantes.
Dans "Sortilège" d'Alan Eddine Slim, on suit la dérive d'un militaire tunisien qui s'extrait du monde pour participer à sa renaissance sous une nouvelle forme.
Pourquoi devient-il silencieux et ne communique-t-il plus que par des textes qui apparaissent sur ses yeux pris en gros plan ?
Pourquoi ce nouveau Noé aux élans de Robinson Crusoé reconstruit-il de quoi bâtir une civilisation épurée de tout matérialisme, et, finalement, rend-il l'enfant qu'il a nourri de son sein au vieux monde ?
"Sortilège" d'Alan Eddine Slim est porteur de plus de questions que de réponses. C'est un film qui pourrait être propice à une multitude d'interprétations intellectuelles alors que son auteur, visiblement, ne revendique ni pensée ni philosophie et est encore moins tenté par la métaphysique.
On le sent aimant la nature et ses éléments (eau, feu), cherchant à ramener l'homme vers cette nature pour qu'il communie à nouveau avec elle.
Beau et mystérieux, "Sortilège" d'Alan Eddine Slim abandonne ceux qui l'ont aimé dans une confusion apaisante. On est sous le choc doux d'images vraiment originales et de paradoxes diffus dont on n'aura jamais l'explication.
Quelque part, on se demande si le cinéaste n'élabore pas une cosmogonie cohérente ou s'il se contente, au contraire, de raconter une histoire qui lui passe simplement par la tête.
Peut-être ne faut-il pas chercher plus loin que la contemplation des images dans ce film presque muet, ainsi que l'écoute de la musique post-rock du groupe "Oiseaux-tempête" qui joue un grand rôle pour que ce film-maelström soit une réussite. |