Comédie burlesque écrite et mise en scène de Jean-Michel Rabeux, avec Olav Benestvedt, Claude Degliame, Yann Métivier, Georges Edmont et Juliette Flipo.
Quand on sort des "Derniers jours", on en mène pas large. Jean-Michel Rabeux vient de réussir une transmutation digne d'un alchimiste : il a changé une chanson qui incarne l'élégance de l'être, la beauté de la vie, presque sa préciosité narquoise, en une ritournelle perverse et entêtante...
On est passé de Fred Astaire chantant "Heaven", c'est-à-dire le "paradis", le "nirvana", le "pied", à un homme au bout du rouleau chuchotant "J'suis foutu, J'suis foutu". Dans le film de Mark Sandrich, "Top Hat", avec la mélodie d'Irving Berlin, Astaire-Rogers dansaient "Cheek to Cheek", joue contre joue... et voilà qu'ici, c'est fini : on meurt !
"Les Derniers jours", c'est la fin peu glorieuse de Lear (Olav Benestvedt) avec anecdotes pour Ehpad, incontinence garantie, et détails très cacas, très gagas.
Son ami Pylade (Yann Métivier) est forcément à ses côtés pour cette parade sordide et, évidemment, sa femme Pénélope (Claude Degliame) n'est pas loin non plus.
Et puis, bien sûr, il y a un maître de cérémonie (Georges Edmont), un ordonnateur des basses œuvres mortuaires, qui accueille le spectateur avec le sans-gêne de ceux qui fricotent avec la faucheuse. En tenue de loufiat qui se voudrait comique, il se présente en adepte du plumeau, annonçant peut-être métaphoriquement qu'il lui faudra bientôt épousseter les cendres de l'homme redevenu poussière. Allez, hop ! Du balai...ou du ballet !
Et pour ce faire, il y a une musicienne (Juliette Flipo), également chanteuse, qui ne se sépare pas de sa harpe électrique, portable et triangulaire... Car "Les Derniers jours" a quelque chose d'une comédie musicale. Un grand du genre, Bob Fosse, dans "All that jazz", racontait sous forme de danse macabre les aventures d'un corps en pleine opération cardiaque.
Sur la scène des "Derniers jours", c'est un peu ce que fait Jean-Michel Rabeux en contant par le menu des mots et des gestes la fin d'un de ses amis. Est-ce gai ? Est-ce triste ? Le théâtre peut-il transcender le malheur en le représentant avec ironie ? Le rire peut-il empêcher aux larmes inévitables de couler ?
C'est à chacun d'en décider, s'il le peut, s'il le veut. En tout cas, il faut prévenir ceux qui viennent de "vivre" la perte d'un être cher, de surcroît dans des conditions similaires à celles imaginées par Jean-Michel Rabeux : leur douleur risque de se réveiller et ne plus les quitter pendant la durée du spectacle.
On conviendra, cependant, qu'après "Aglaé" et "La Double inconstance (ou presque)" Jean-Michel Rabeux a réussi une fois de plus avec "Les Derniers jours" à élever le théâtre en art essentiel, capable d'aller bien au-delà du divertissement en ne laissant aucun spectateur indifférent.
Impossible pour celui-ci d'oublier cette représentation prémonitoire de ces derniers moments qu'il finira par connaître, qu'il le veuille ou non. |