Comédie dramatique de Peter Handke, mise en scène de Alain Françon, avec Pierre-François Garel, Gilles Privat, Sophie Semin, Dominique Valadié, Laurence Côte, Daniel Dupont, Sophie Lacombe, Yannick Gonzalez, Guillaume Lévêque, Hélène N’Suka, Joseph Rolandez et Sylviane Simonet.
Fort de son tout récent Prix Nobel, Peter Handke propose avec "Les Innocents, Moi et l'Inconnue au bord de la route départementale", qu'il a lui-même traduit en français, une nouvelle œuvre ambitieuse et originale. Pas question pour lui de se reposer sur son bâton de maréchal...
Et l'on s'en rend immédiatement compte en découvrant le décor de Jacques Gabel dans lequel on restera pendant près de 2 h 30 : un tronçon de route départementale entourée de verdure, en pleine campagne, avec un ciel bleu bas et légèrement nuageux. En précisant que le tronçon contient un tournant et qu'il y a sur la scène près de ce tournant une espèce de cabane "moderne".
Ce décor posé, intervient le Moi (Gilles Privat), personnage barbu qui se présente comme l'esprit, presque le propriétaire de ce bout de route.
Mais, en bon dialecticien, Peter Handke fait surgir du bout de la route synonyme de coulisse, une bande éparse et assez nombreuse que le " Moi" appellera "Les Innocents" et qu'il cherchera durant tout le spectacle à repousser alors qu'interviendra, elle aussi contre eux tout en se démarquant du "Moi", "l'inconnue de la route départementale" (Dominique Valadié).
Dans cette œuvre étrange qui pourrait par moments flirter avec l'absurde, mais un absurde roboratif, il ne faudra pas s'attendre à une vraie violence. Tout au contraire. L'affrontement du "Moi" et des "Innocents" sera médiatisé par l'intervention du "Chef de la tribu" (Pierre-François Garel), représentant l'entité, et seul à y être différencié avec celle qui sera sa femme (Sophie Semin).
Dans ce qui constituera le cœur et le clou de la pièce, "Moi" et "Le Chef", assis tous les deux sur des pliants et regardant la salle, vont entamer une suite de monologues, étant donné que Peter Handke n'a pas écrit de véritables dialogues entre tous ses personnages.
On peut prédire que ces monologues seront bien vite considérés comme des sommets dans l'oeuvre de l'auteur autrichien et c'est d'ailleurs un peu frustrant de ne pas avoir lu le texte avant d'assister à la représentation. On aimerait pouvoir citer des morceaux entiers de ses deux paroles qui se suivent, se percutent, sans jamais s'anéantir.
Quand on sait ce qu'on a reproché à Handke, ce passage majeur entre deux hommes que tout oppose, et son rendu scénique par Alain Françon, aboutit non pas à un morceau d'éloquence qui fera date mais à une discussion qui atteint un niveau d'abstraction poétique extrêmement élevé donnant à entendre une très belle page humaniste.
Humaniste, c'est un beau mot, qui définit parfaitement l'oeuvre de Handke et qui va à l'encontre d'un monde cynique et calculateur qui réduit les idéaux à des études de marchés.
La distribution est brillante, à commencer par Gilles Privat et Pierre-François Garel. On est cependant légèrement frustré que les excellents comédiens qui forment la tribu des "Innocents" (Laurence Côte, Daniel Dupont, Yannick Gonzalez, Sophie Lacombe, Guillaume Lévêque, Hélène N'Suka, Joseph Rolandez, Sylviane Simonet) ne soient pas plus individualisés. |