Tragi-comédie écrite et mise en scène par Camille de La Guillonnière, avec Hélène Bertrand, Lara Boric, Erwann Mozet, Pe?lagie Papillon, Charles Pommel et Lorine Wolff. Il n’est pas chose aisée de porter sur les planches un roman, d’autant plus un roman d’Honoré de Balzac tel qu’"Eugénie Grandet", où la narration descriptive des lieux, des hommes et de leurs états d’âmes prennent rapidement le pas sur l’action.
Pourtant dans ce spectacle tiré de l’œuvre éponyme du grand romancier, la ompagnie Le temps est Incertain mais on joue quand même ! en propose une version tout à la fois fidèle et engagée. Une véritable gageure pourtant extrêmement réussie.
Derrière l’accomplissement de ce tour de force périlleux, on trouve les choix ingénieux et originaux de Camille de la Guillonnière qui signe l’adaptation et la mise en scène de la pièce : pas de ré-écriture, pas de distribution de rôle et une représentation chorale à une, deux, trois, voire six voix superposées.
Le texte de Balzac se déploie ainsi dans la bouche des six comédiens dans la pureté de son script originel, et ce à la virgule près, permettant aux spectateurs, tel un lecteur se plongeant dans un livre, tout d’abord étranger et dérouté, puis s’imprégnant petit à petit de l’univers et des personnages pour finir par se faire happer par l’histoire, il faut le dire, superbement bien racontée par l’illustre écrivain.
Illustrant plus que figurant tour à tour, Eugénie ou son père, Nanon ou les Cruchots, Hélène Bertrand, Lara Boric, Erwann Mozet, Pélagie Papillon, Charles Pommel et Lorine Wolff donnent de l’énergie et de la voix tel un chœur tumultueux jouant avec brio et conviction une partition subtile et élégante.
Le rythme et l’enchaînement des variations de narration jouent également beaucoup dans la fluidité du spectacle qui ne se raconte jamais tout à fait de la même manière.
Moments contés, figurés, interprétés, chantés ou musicaux (à la guitare et au violoncelle) s’alternent à la recherche de l’angle narratif le plus percutant pour chaque passage, avec de superbes moments de grâces, comme la découverte du coffret en or, la mort de monsieur Grandet ou la scène du chaste baiser des deux amoureux.
Il y a, dans cette manière d’envisager le théâtre comme une évocation de ce qui fût plus que dans l’incarnation du ici et maintenant, une évocation (voulue ou non) aux chansons de gestes, aux saltimbanques et autres troubadours.
Le jeu habité des excellents comédiens fait le reste Tout y est, la lumière feutrée et jaunis du modeste et avaricieux intérieur bourgeois de Luc Muscillo, les costumes sans chichis mais ingénieux de Nelly Geyres, les clins d’œil anachroniques discrets mais amusant (telle l’interprétation a capella de "Girls just want to have fun" de Cyndi Lauper ou en chorale du "Sound of Silence" de Simon & Garfunkel).
Un spectacle très original et percutant sur sa forme, qui est une très belle manière de découvrir ou redécouvrir le roman d’Eugénie Grandet. |