On se demande encore et toujours ce qui fait encore écrire l’incroyable John le Carré qui, du haut de ses presque 90 printemps, continue de nous ravir avec l’arrivée d’un nouvel ouvrage. On ne présente plus cet auteur qui a travaillé pour le renseignement britannique pendant la guerre froide et qui depuis maintenant plus de cinquante ans se consacre à l’écriture, partageant sa vie entre Londres et les Cornouailles.
Pour son dernier ouvrage, il retrouve sa fidèle traductrice Isabelle Perrin qui l’accompagne depuis La maison Russie et une trentaine d’ouvrages. Retour de service est donc l’occasion de retrouver la verve de cet auteur passionnant qui n’a pas son pareil pour nous livrer le portrait du monde que nous habitons, glaçant, délicatement satirique, toujours porté par une tension constante.
L’histoire tourne autour du personnage de Nat, un homme de 47 ans, vétéran des services de renseignements britanniques, qui est de retour à Londres auprès de Prue, son épouse et alliée inconditionnelle. Ses jours comme agent sont comptés mais avec la menace grandissante venue de Moscou, le service lui offre une dernière mission : diriger le refuge, une sous-station du département Russie où végète une clique d’espions décatis. Parmi cette clique d’espions décatis, sort du lot une jeune et brillante recrue, Florence, qui surveille de près les agissements suspects d’un oligarque ukrainien.
Nat n’est pas seulement un agent secret, c’est aussi un joueur de badminton passionné. Tous les lundis soir dans son club, il affronte un certain Ed, grand gaillard déconcertant et impétueux, qui a la moitié de son âge. Ed déteste le Brexit, il déteste aussi Trump et déteste son travail obscur. Et c’est Ed, le plus inattendu de tous, qui mû par la colère et l’urgence va déclencher un mécanisme irréversible et entraîner avec lui Prue, Florence et Nat dans un piège infernal.
C’est encore une fois un très grand ouvrage que nous propose l’auteur, passionnant du début à la fin, qui se lit très rapidement, du fait qu’il ne dépasse pas les 300 pages et qu’il embarque le lecteur très rapidement. L’auteur s’affirme de plus en plus être le maître du roman d’espionnage maniant intrigues et imbrications parfaites d’histoire qui tiennent en haleine le lecteur.
Particulièrement critique à l’égard de son pays, il décrit une Grande-Bretagne subissant les conséquences du choix du Brexit. Les hommes politiques en prennent pour leur grade (Boris Johnson notamment), s’intéressant davantage à leur situation personnelle plutôt qu’à celle du peuple. Il nous parle de Trump aussi, pour lequel il ne semble pas éprouver beaucoup de sympathie. Il lui reproche notamment de laisser s’installer aux Etats-Unis une atmosphère raciste et fasciste.
C’est une leçon de géopolitique mondiale que nous propose l’européen convaincu qu’est John le Carré. Une leçon qui s’appuie sur notre actualité, parfaitement maîtrisée par l’auteur qui parle des relations entre Trump et Poutine mais aussi des lanceurs d’alertes dont on a beaucoup entendu parler récemment.
Malgré son grand âge, l’auteur prouve donc avec Retour de service qu’il n’a rien perdu de son imagination pour nous raconter des histoires d’espionnages autour d’une écriture percutante et précise. Les personnages sont superbement construits, on voit bien l’expérience de l’auteur concernant les services secrets qui n’ont plus aucun secret pour lui. Son humour, parfois décapant est un véritable plaisir de lecture et ses analyses de la politique actuelle est particulièrement pertinente.