Création collective de théâtre dansé sous la direction de Noémie de Lattre à la mise en scène et Martine Harmel à la chorégraphie, avec Fatima Aïbout, Christine Anglio, Nassima Benchicou, Jihane Benlahcen, Noémie Caillault, Stéphanie Caillol, Sandra Colombo, Hélène Degy, Marie Delmarès, Chantal Dervieux, Peggy Dias, Elisabeth Drulhe, Isabelle Florido, Fanny Fourquez, Martine Harmel, Tadrina Hocking, Noémie de Lattre, Judith Margolin, Élodie Milo, Inès Pech, Léa Pheulpin, Eve Reinquin, Emmanuelle Rivière et Giorgia Sinicorni.
La claque plutôt que le discours. Le collectif versus l’individuel. Le nu contre les chaînes. Le brouhaha constructif plutôt que les tergiversations feutrées sans fin.
Il y a un peu de tout ça dans cette première version du spectacle "Sabbat", présentée au Théâtre 13 ce vendredi 18 septembre dans le cadre des "Sorties de résidence" (représentations gratuites, l’après-midi, permettant de se faire une idée du "work-in-progress" d’oeuvres à venir).
Noémie De Lattre et sa complice Martine Harmel ont livré, avec une vingtaine de comédiennes, un avant-goût en quelques scènes et tableaux de cette création plurielle, "sous la direction de" plutôt que "écrite par", où chacune des participantes a été force de proposition.
Soit 22 femmes - ce jour-là il n’y en avait que 17, agendas respectifs oblige - aux âges et physiques différents, réparties sur un plateau à cases. Des cases comme des étiquettes ou des clichés (la bimbo, la femme voilée, la femme-enfant, etc.), images d’Epinal dont il va falloir s’extraire avec force. Et des costumes comme autant d’entraves, dont il va falloir se débarrasser.
Chacune d’entre elles va évoluer d’abord individuellement au sein de l’espace ainsi délimité. Impression d’une armée en marche mais prise de parole éclatée, chaque comédienne évoluant dans son petit univers clos. La mise en scène parvient à focaliser notre attention, tour à tour, sur chacune de ces femmes, sans jamais perdre de vue l’effet de masse.
Le texte est d’abord un agrégat de statistiques et lieux communs journalistiques (sur les inégalités, le viol, la maternité). Puis des cris se font entendre, des encouragements réciproques : prise de parole de plus en plus décomplexée à mesure qu’elles se libèrent, chacune à sa façon, des entraves du costume et des clichés. Peu à peu, la troupe d’individualités se change en groupe, voire en meute.
Les tableaux suivants osent la nudité comme une revendication - ou non : belles interventions de ces femmes, minoritaires, qui trouvent que le refus de la nudité, fût-elle à visée politique, est aussi une forme de liberté. Les corps se mêlent de plus en plus, le groupe se resserre.
Les individualités ainsi agrégées sont autant de facettes d’une même galaxie : le féminin, qui ne s’oppose pas nommément au masculin mais à une oppression plus générale, systémique. Le proverbial "sexe faible" qui, en groupe, lutterait d’autant mieux contre la force patriarcale. La force herculéenne (et non moins plébéienne) à mettre en branle pour vaincre ensemble.
Dans sa note d’intention, élargissant son propos de la femme à d’autres minorités "non conformes" ("les Noir.e.s, les juifs et les juives, les personnes LGBTQI, les personnes porteuses de handicap ou toute autre forme de différence, les pas sages, les pas minces, les marginales et les marginaux... LES AUTRES"), Noémie De Lattre - qui fait également, en solo, dans le one-woman show comico-politique - évoque un peu Coluche (l’appel à la présidentielle), beaucoup Virginie Despentes (notamment sa préface à l’essai punko-féministe "King-Kong Théorie").
De fait, ce spectacle (du moins ce que nous en avons déjà vu) a plus à voir avec l’agit-prop seventies ou, plus proche de nous, le coup d’éclat à la Femen, qu’un colloque à réflexion structurée. C’est la force de cette proposition, plus visuelle et sonore que théorique. Les comédiennes ne ménagent pas leur peine et donnent l’impression d’un épanouissement progressif. C’est contagieux, roboratif. Vivifiant. Et l’on se sent plus que jamais solidaire de "la cause " en sortant.
Si l’on devrait émettre un bémol, cependant : manquent à ce panorama des féminités les "intersectionnelles" qui font aujourd’hui couler beaucoup d’encre. Ces fameuses féministes "racisées", "indigènes", qui donnent du fil à retordre aux mouvements politiques se renvoyant la patate chaude entre réaction et "islamo-gauchisme", sans savoir où les ranger.
Il y a bien dans la troupe une femme voilée, une ou deux tignasses crépues… mais c’est à peu près tout. Trop peu de négritude, de canons non-occidentaux. Aucune difformité non plus. Noémie De Lattre, en tant qu’actrice et partie prenante au groupe, a beau maltraiter sa chair dans un costume aux multiples lacets (pas "bondage", mais presque), elle finit par crever l’armure et exhiber une poitrine… belle, généreuse, admirable.
Hormis une comédienne maghrébine aux formes plantureuses (l’ex-femme voilée justement), pas de physique "hors norme". Peu de flasque, presque rien qui tombe. Réserve de principe, qui n’atténue en rien la vigueur et la fraîcheur de ce bout de spectacle dévoilé. Mais qui montre que la "convergence des luttes" a, dans le féminisme comme dans tous les mouvements politico-sociétaux, toujours du mal à se faire.
(NB : Le spectacle sera programmé, à partir du 21 octobre 2020 jusqu'à fin mars 2021, tous les mercredis au Consulat, lieu éphémère artistique). |