Comédie dramatique d'Olivier Sylvestre, mise en scène Cécile Backès, avec Marion Verstraeten, Ulysse Bosshard et le musicien Arnaud Biscay (en alternance avec Héloïse Divilly).
Olivier Sylvestre a moins de quarante ans et une œuvre déjà fournie. Dans son pays, "La loi de la gravité" est sa pièce la plus célèbre. Grâce à la curiosité de Cécile Backès, elle franchit enfin l'Atlantique pour qu'on découvre l'un des jeunes auteurs québécois les plus doués du moment.
Si l'on ne sait pas que Dom (Marion Verstraeten) et Fred (Ulysse Bosshard) cherchent un ailleurs, au-delà de leur "presque-ville", quelque part au-delà du pont et de l'autoroute, mais sur un autre continent, leur langue s'en charge. Car Cécile Backès n'a pas voulu "adapté en français" les expressions québécoises, ce qui fait dire dès sa troisième phrase à Dom "faut que je décâlisse" ("faut que je dégage").
Ici les amis sont des "chum" et les meufs des "plottes", ajoutant une petite touche de mystère à un texte qu'on sent d'emblée influencé par les grands "ancêtres américains" de la Beat generation et ses clochards célestes à la Kerouac, à la post-beat generation et ses gueules cassées de la vie quotidienne à la Sam Shepard.
En France, des jeunes gens comme Dominique et Frédéric au genre inaffirmé et à la vie sans certitude, sauf celle de ne pas avoir une vie toute tracée et toute normale, chercheraient à s'évader justement en prenant un ticket pour le faux "Nouveau-Monde". Dans "La loi de la gravité", ils y sont et l'Amérique ne peut les faire rêver ni s'illusionner.
Il faut donc aller au-delà ce décor no-man's land parfaitement reconstitué - ou fantasmé - par Marc Lainé et Anouk Maugein, avec ces tags, cette structure suspendue derrière laquelle est écrit "PRESQUE-LA VIL...".
C'est donc au-dessus du bas, où tout n'est que détritus et choses cassées que les deux nouveaux amis se retrouvent. Un bas où des phares d'auto peuvent éblouir le public et dans lequel un batteur (Arnaud Biscay ou Héloïse Divilly) accompagnent, sans les surligner ni les parapher, les deux ados de 14 ans en train de s'apprivoiser avant de partir peut-être au-delà de leur monde détesté.
Cécile Bakès a choisi deux comédiens très expressifs et très différents physiquement pour incarner les personnages d'Olivier Sylvestre. Dom, la casquette rivée sur la tête, tranche avec Fred et ses cheveux jaunes bouclés. La première parle beaucoup, avec un phrasé plus saccadé que son partenaire plus sur la retenue, moins assuré dans son discours comme s'il se sentait moins légitime pour venir hanter des lieux où Dom a élu domicile, où elle contemple son "paysage".
"La loi de la gravité", c'est l'histoire de la découverte de deux êtres qui apprennent à saisir leurs points communs et leurs divergences, à se jauger et à s'aimer pour justement trouver la loi fusionnelle qui les fera partir ensemble ou pas vers l'ailleurs, ultime point de leur unique chance de survie.
Le texte d'Olivier Sylvestre a d'abord une qualité rare : sa consistance. Chaque mot écrit compte. On ne parle pas jeune pour faire jeune. Sylvestre a une écriture radicale, sensée, lourde, sérieuse y compris quand il saupoudre son texte de l'ironie méchante des enfants trop vite grandis et qui cachent leur gentillesse et leur timidité en insolence.
Court mais dense, ce voyage au pays où les mots ont encore la force d'entraînement qui pousse aux actes est curieusement porteur d'espoir. L'autre côté des choses vers lequel les deux protagonistes sont attirés n'est pas forcément celui qui conduit à une chute mortelle. Il reste la possibilité d'un vrai départ au delà du pont. Comme dans une chanson de Capdevielle, même si l'auteur n'a jamais entendu "Au dessus des rues".
Un beau moment de théâtre où Cécile Bakès ne perd jamais le fil des voix en suspension de ces deux beaux personnages joliment composés par Marion Verstraeten et et Ulysse Bosshard. |