Voilà un ouvrage que j’ai vu passer dans le catalogue des éditions Autrement qui m’a interpellé et donné envie de le lire. Sans être féru de psychiatrie mais toujours autant interessé par tout ce qui touche à l’histoire qu’elle soit politique, culturelle, économique, militaire ou bien sociale, je suis tombé curieux de cet ouvrage écrit par un psychiatre qui nous raconte comment aux Etats-Unis la psychiatrie a pu être utilisée comme un objet politique.
Alors que le mouvement des droits civiques commence à embraser l’Amérique des années 50, les hôpitaux psychiatriques attestent d’une étrange évolution du diagnostique de la schizophrénie. Jusque là réservée aux intellectuels et aux femmes au foyer blanches, cette maladie devient soudain l’apanage d’une nouvelle catégorie d’individus, majoritairement des hommes noirs en colère.
Cette découverte stupéfiante, c’est Jonathan Metzl qui l'a faite en se plongeant dans les archives de l’hôpital d’Etat d’Ionia dans le Michigan. D’inhibés qu’ils étaient, les nouveaux "schizophrènes" se voient qualifiés de belliqueux ou de paranoïaques et, parallèlement, sous la plume de grands psychiatres de l’époque, la schizophrénie devient une "psychose de la révolte". Plus encore, l’abus diagnostique s’immisce dans le vocabulaire courant au point même que Martin Luther King ou Stockely Carmichael le reprendront à leur compte, faisant de cette maladie une image de l’identité afro-américaine scindée en deux par l’hégémonie américaine.
Dans cet ouvrage au demeurant particulièrement intéressant, Jonathan Metzl met au jour un racisme institutionnel d’un genre nouveau. Il nous montre l’instrumentalisation de la psychiatrie à des fins de domination des populations. On y voit comment la psychiatrie a pu permettre d’isoler et d’enfermer des personnes qui étaient considérées comme gênantes.
Après une préface particulièrement éclairante, l’ouvrage est construit autour de 6 parties, dont une première qui présente l’hôpital d’Ionia, spécialisé dans l’enfermement de criminels irresponsables. Viennent ensuite des parties qui parlent de patients, tirés d’archives récupérées par l’auteur, pour finir par une partie intitulée Les vestiges. On voit bien au final comment la presse a pu développer l’idée que la schizophrénie était liée à la masculinité et à la couleur de peau noire. On voit aussi que les scientifiques ont aussi beaucoup adapté leurs discours au contexte économique et social de l’époque où le racisme était présent.
Bizarrement, on pouvait penser que cette pratique délétère de la psychiatrie était plutôt l’apanage des systèmes totalitaires ou des dictatures mais l’ouvrage nous montre que cela a aussi existé aux Etats-Unis. Etouffer la révolte s’avère donc être un ouvrage à la lecture plus que nécessaire. |