Le Musée Cernushi propose une exposition d'estampes japonaises du 19ème siècle traitant du thème du voyage et plus précisément celles relatives au Kisokaido, l'une des cinq voies du réseau routier nippon, qui reliait la ville d'Edo (actuel Tokyo), le lieu de résidence du shogun, le genéral en chef des armées, au siège de l'Empire établi à Kyoto
IIntitulée "Voyage sur la route du Kisokaido - De Hiroshige à Kuniyoshi", la monstration conçue sous le commissariat de Manuela Moscatiello, responsable des collections japonaises audit musée, présente un double intérêt tenant à la richesse iconographique du motif et à la présentation d'un ensemble inédit composées de deux des trois remarquables séries y afférant.
Scandé par une sélection d’objets d’art, des nécessaires de fumeur à l'équipement guerrier en passant par les luxueux paniers de pique-nique, le parcours enchaîne la série de 1835, provenant de la collection Georges Leskowicz et celle datant de 1852 issue des collections du Musée Cernushi.
Le road movie pictural du Kisokaido
Les soixante-neuf étapes de la route du Kisokaido, qui serpente à l'intérieur des terres sur près de 500km et traverse des montagnes culminant à plus de 3000 mètres dont l'emblématique Mont Fuji, sont retracées sur estampe par les maîtres de la fin de l'Age d'or du mouvement artistique de l'ukiyo-e, la représentation du monde flottant, de l'époque d'Edo avec la vogue des grandes suites topographiques et des vues de sites remarquables. La présentation conjointe de plusieurs séries permet de constater leur diversité qui résulte non seulement de la différence stylistique de traitement du sujet mais de leur approche quant à l'importance de la place assignée au paysage. Ainsi, pour Utagawa Hiroshige,dont les estampes ont fait l'objet d'une exposition monographique sur le même thème en 2013 à la Pinacothèque de Paris ("Hiroshige - L'art du voyage"), qui avait déjà à son actif "Les Cinquante-trois Stations du Tokaido" réalisées en 1832 et dont les "Cent vues d'Edo" constitueront son oeuvre ultime.
Hiroshige assure la reprise de la suite initiée par Keisai Eisen dont le graphisme est relativement plat, avec une ligne claire et une absence de profondeur qui évoque la bande dessinée, et également avec l'amusant anecdotisme des scènes pittoresques.
Maîtrisant l'art du paysage et du double regard, et en conformité avec la tradition poétique et picturale du Japon, Hiroshige traite le paysage par la voie du réalisme poétique comme une ode magistrale à la somptuosité de la nature qui se révèle non seulement un support à la méditation mais une invitation au voyage intérieur.
Et son trait se développe avec virtuosité et audace dans la composition avec des cadrages novateurs, la dynamique des plans verticaux, l'utilisation de la perspective axonométrique et la gestion du plein et du vide, ce que révèle par exemple la comparaison de leur étape "Oi" sous la neige.
Pour la série réalisée en 1852 par Utagawa Kunisada, détenue par le Musée des Beaux arts de Boston, et qui n'ayant pu être exportée en raison de la crise sanitaire, figure sous forme d'un florilège numérique, la particularité consiste en la représentation principale en premier plan de portraits d'acteurs du Kabuki sur fond d'étape du Kisokaido en toile de fond et ce dans le cadre d'une association non intuitive.
Avec Utagawa Kuniyoshi, que le Petit Palais proposait de (re)découvrir en 2016 avec l'exposition "Fantastique ! Kuniyoshi, le démon de l'estampe", le paysage est réduit à sa partie congrue. En effet, il est inséré sous forme de simple cartouche dans une estampe essentiellement narrative qui puise tant dans la littérature classique que les légendes du folklore japonais et le théâtre du Kabuki et du No.
Et ce foisonnant répertoire iconographique bénéficie d'un traitement aussi expressif que ludique dans une brillante composition cinétique attestant de son art du cadrage narratif pour mettre en scène des personnages précurseurs de ceux de l'heroic fantasy et figurait à ce titre en 2018 dans l'exposition du Musée du Quai Branly dédiée aux "Enfers et Fantômes d'Asie".
A noter, de bienvenus et didactiques outils de médiation et dispositifs numériques et compléter sa visite avec celle, en accès gratuit, des collections permanentes qui ont récemment fait l'objet d'un nouvel agencement. |