C’est en janvier 2010, après sa dernière tournée européenne qu’Hélène Grimaud, immense pianiste française vivant aujourd’hui aux Etats-Unis, a enregistré cet album dans la grande salle de l’Université de Salzbourg où elle été rejointe par la Camerata de Salzbourg. Cet album est, pour Hélène Grimaud, une proposition de voyage intérieur, une réflexion sur le temps. "Notre temps a besoin d’une musique plus intense, véhiculant l’introspection et l’effort pour créer un espace pour vivre, un temps pour aimer au-delà des nombreuses misères actuelles et pour lutter pour plus d’harmonie les uns avec les autres et avec notre planète."
Cette grande protectrice de la Nature a choisi comme point central de cet album le Concerto pour piano n°20 en Ré mineur de Mozart. Ce concerto fait partie du nombre restreint d’oeuvres de Mozart composé dans une tonalité mineure, ce mode évoquant pour le compositeur une confrontation avec le destin. Nous sommes en 1785, lorsqu’il compose cette oeuvre. Il vit depuis trois ans à Vienne avec sa femme Constance et les commandes se font rares. Le ton du concerto est donné par l’avenir incertain qui se profile pour lui. Hélène Grimaud interprète cette oeuvre avec une pureté et une technique prodigieuse, tout en mettant une passion et une intensité impressionnante, la Camerata de Salzbourg accompagnant magnifiquement l’interprète.
Entourant ce concerto, Hélène Grimaud nous présente deux autres oeuvres du même compositeur, la Fantaisie inachevée en Ré mineur et la Fantaisie en Do mineur. Ce choix n’est pas anodin avec encore une fois des tonalités mineures, ces pages résonnant "de façon encore plus poignante à travers le philtre de ce tumulte que nous vivons, de cette incertitude".
Hélène Grimaud se dit "intéressée par les couplages qui n’étaient pas prévisibles, dans des combinaisons inhabituelles, certaines pièces pouvant s’éclairer l’une l’autre". C’est pourquoi elle choisit, dans la deuxième partie de l’album, d’interpréter des oeuvres du compositeur ukrainien Valentin Silvestrov. Celui-ci dit lui-même qu’il n’écrit pas de la musique mais qu’elle est un écho à ce qui existe déjà. The Messenger est par cela extrêmement impressionnante. Nous en avons ici deux versions, une pour cordes et piano et une pour piano seul. Cette oeuvre est un écho à la musique de Mozart mais dans une ambiance fantomatique, proche du rêve avec cette utilisation du sustain qui nous enveloppe totalement. Composée à la mémoire de son épouse, elle a pour but d’établir un lien entre le monde qui existait autrefois et le présent. Hélène Grimaud est passionnée par la musique de Valentin Silvestrov qu’elle avait déjà enregistré dans son album Memory de 2018 et propose d’autres pièces du compositeurs, échos à Schubert et Wagner.
Je recommande vivement cet album qui m’a véritablement transportée par le jeu sans fioriture mais d’une expressivité monumentale, par la passion et l’émotion qu’Hélène Grimaud fait passer dans ces oeuvres qui, sans nul doute, nous plonge dans cette introspection recherchée par l’artiste en nous faisant réfléchir sur cette notion du temps qui passe.
Décidémment ce mois de janvier est bien triste pour la culture. Marianne Faithfull a tiré sa révérence et c'est encore un peu de tristesse qui s'ajoute à celle plus globale d'un monde tordu. Il reste la culture pour se changer les lidées. Retrouvez-nous aussi sur nos réseaux sociaux !