En 1987, le vernissage de l'exposition au centre Pompidou des toiles de Marc Desgrandchamps, jeune peintre figuratif émergent des années 1980, avait tourné à l'émeute. 20 ans après, le Centre Pompidou réitère et persiste en présentant un ensemble de ses peintures récentes et inédites.
Point de scénographie au sens classique du terme mais un parcours en trois salles, selon un dispositif conçu Marc Desgrandchamps lui-même, pour "permettre "un choix de lectures multiples" de ses œuvres caractérisées par la transparence, la fragmentation et les dégoulinures.
Un parcours en 3 grandes salles blanches dans lesquelles sont accrochées des toiles de grand format présentées pour la plupart en fresques.
A partir de photographies, coupures de presse, et autres documents papiers qui constituent ses sources d'inspiration, ainsi en est-il par exemple pour les femmes sur la plage d'après des danseuses folkloriques ou du hors bord tiré d'une publicité des années 60, et d'une matière fluide, translucide, liquide qui s'échappe en dégoulinures aléatoires, il fait de la figuration surréaliste sur une composition abstraite.
Le fond du tableau, comme un décor de théâtre, s'organise en masses géométriques horizontales, un ciel toujours bleu d'un éternel été, des paysages invariablement d'ocres et de verts éteints, sur lesquelles se superposent en verticales des éléments figuratifs.
Mais point de repère, des silhouettes sans aucun signe distinctif, des objets intemporels telles des planches pour test psychanalytique. Tout est dit et pourtant à chacun de raconter une histoire, son histoire. Marc Desgrandchamps joue avec celui qui regarde ses toiles, un jeu interactif selon les règles des trois "R" qui ont été bien analysées dans un entretien avec Isabelle Bertolotti et Thierry Raspail lors de son exposition au Musée d'Art Moderne de Lyon en 2004 : la récurrence, la rémanence et la réminiscence.
Il sème des indices qui se retrouvent dans plusieurs toiles (tels le pigeon noir ou les tongs) ce qui accentue l'impression de la pluralité d'images superposées comme le cerveau perçoit encore l'image trop forte qui a impressionné mécaniquement la rétine alors que l'œil transmet déjà une nouvelle image.
Et surtout, Marc Desgrandchamps nous livre un puzzle incomplet : l'indifférenciation et l'indétermination des lieux, de l'époque et des personnes constituent une trame que chacun peut customiser. Il intrigue aussi par l'introduction de détails ou de petits personnages qui paraissent incongrus.
Dans la première salle, l'impression de temps arrêté est prégnant.
Les femmes tronquées, en voie d'effacement pour l'une et d'apparition pour l'autre à moins que ce ne soit l'inverse, sont statufiées dans leur posture.
Le hors bord symbole de la vitesse qui fonce sur des nageurs est figé à jamais et les pigeons sont saisis en plein vol comme dans une succession d'images fixes décomposant le mouvement. Dans la seconde, variations autour d'un lieu de villégiature, le transat rayé est de toutes les scènes abandonnées des hommes.
Le pigeon noir nous emmènera jusqu'à la dernière toile de l'exposition, différente des autres, plus sombre sans ciel, sans campagne, une scène urbaine de gris et de noir où des "piétons" se superposent, certains réduits à des formes spectrales blanches confortant le qualificatif de "fantômes liquides".
Toute œuvre d'art est un mystère. Chaque peinture donne une réponse à une question connue le cas échéant du seul peintre, dont les critiques d'art s'évertuent à percer le secret.
Celles de Marc Desgrandchamps n'échappent sans doute pas à ce postulat mais leur composition recèle à l'évidence un questionnement de celui qui les regarde. De là les différentes perceptions de son travail qui renvoie chaque spectateur vers ses propres angoisses ou certitudes. Errances post mortem dans un éternel eden ou résidus de la mémoire sélective, angoisse de la déliquescence ou heureuse contraction du temps faisant de chaque instant une éternité… |