Voilà un ouvrage d’histoire qui porte bien son nom tant il se lit facilement comme un excellent roman. Un ouvrage qui aurait pu s’intituler "Les douze salopards" puisqu’il nous parle des nazis au service des vainqueurs après 1945.
A la plume de cet ouvrage publié chez Perrin, le journaliste et écrivain Eric Branca qui a notamment écrit de très bons ouvrages sur De Gaulle, notamment De Gaulle et les grands.
Tout a déjà été dit sur les complices d’Hitler jugés à Nuremberg comme Goring, rattrapés dans leur fuite (Eichmann, Barbie) ou mort dans la clandestinité (Mengele). On ne s’est guère intéressé à ceux qui, non contents d’avoir échappé à la corde, ont entamé, à l’ombre des vainqueurs, une seconde carrière d’envergure.
Eric Branca a donc fait le choix de nous proposer douze portraits, de nous parler de douze hommes, des donneurs d’ordres nazis qui ont réussi à se recycler après la guerre, aidés par les alliés, dans un contexte de guerre froide où la géostratégie était dominante et guidait les décisions prises. La plupart ont d’ailleurs travaillé dans le monde du renseignement.
Certains sont connus, d’autres le sont moins. La plus spectaculaire est celle de Kurt Georg Kiesinger, devenu chancelier de la République fédérale allemande de 1966 à 1969, lui qui fut surnommé entre 1940 et 1945 "le Goebbels de l’étranger".
D’autres apparaissent encore plus choquants comme Reinhard Gelhen, ancien bras droit de Heydrich qui prit la tête des services secrets allemands en 1956. Et que dire de Walter Schellenberg, le plus jeune général SS, responsable de la mort de plus d’un million de civils russes, condamné à Nuremberg, gracié médicalement ? Que penser d’Adolf Heusinger, l’homme qui rencontra 700 fois Hitler, qui dirigea de 1960 à 1964 le comité militaire de l’OTAN ? Sous les ordres d’Hitler, il avait pourtant planifié l’invasion de la Russie et son cortège de massacre.
Ernst Achenbach, conseiller politique de l’ambassade allemande en France, chef d’orchestre du pillage économique deviendra député européen et député au Bundestag, fut aussi le candidat officiel de l’Allemagne à la commission de Bruxelles.
Et puis l’auteur nous parle aussi d’Albert Speer, peut-être le plus connu de l’ouvrage, l’architecte d’Hitler, l’un des rares accusés de Nuremberg à avoir sauvé sa tête alors qu’il fut reconnu coupable de crime de guerre et de crimes contre l’humanité qui devint mémorialiste à succès et marchand d’art clandestin. D’autres destins d’anciens nazis nous sont racontés, de Paulus à Diels, en passant par Schacht, Skorzeny (histoire incroyable), Von Braun ou encore Reitsch.
Ce qui est passionnant dans cet ouvrage, au-delà d’apprendre ce qu’ont pu devenir ses criminels nazis après la guerre, ce sont les explications données par l’auteur pour expliquer leur destinée. L’auteur nous montre le rôle joué par les anglo-saxons dans le parcours de ces hommes quand les français et les soviétiques étaient eux à leur recherche. On y voit le poids de la guerre froide, comment ses anciens nazis ont pu offrir leurs services aux américains, surtout ceux qui avaient des connaissances sur l’URSS de par leur passé. Souvent les américains ont fait le choix de récupérer des informations en restant aveugle sur leur passé. Souvent aussi, ces anciens criminels nazis avaient préparé leur reconversion en conservant des documents importants qui pourraient leur servir de monnaie d’échanges en temps voulu. C’est le cas de Schellenberg notamment, on comprend mieux alors comment il échappa à la prison.
Cet ouvrage est tout simplement passionnant, autant que ce qu’il nous raconte est consternant. Comment ne pas être choqué par ces reconversions de nazis passés du côté des vainqueurs ? Mais surtout comment ne pas avoir honte pour ces vainqueurs qui ont fermé les yeux sur le passé de ces hommes pour des raisons politiques. On pourrait facilement aussi les placer aux côtés des douze salopards racontés dans l’ouvrage. |