Voilà un ouvrage qui risque de vous remuer les tripes tant il nous délivre une vision sans fard de la société nigériane, entre violence faites aux femmes et corruption. Pour nous parler de ces fléaux, seule une nigériane pouvait nous en parler, ce que vient de faire Tola Rotimi Abraham, auteure née à Lagos qui vit aujourd’hui aux Etats-Unis.
Publié aux éditions Autrement, Black Sunday est un premier roman puissant qui nous plonge au cœur de la société nigériane dans ce qu’elle a de plus abjecte. Pas tendre envers son pays, elle dévoile une réalité, celle d’une société gangrénée par la corruption et les trafics, une société violente vis-à-vis des femmes.
La littérature africaine, ici nigériane, est une littérature que j’apprécie particulièrement. Tola Rotimi Abraham suit pour moi d’autres auteures de ce pays qui nous ont proposé d’excellents ouvrages. Je pense notamment à Oyinkan Braithwaite, Chigozie Obioma et bien sûr Chimamanda Ngozie Adichie, militante féministe reconnue.
L’ouvrage nous raconte la vie de quatre frères et sœurs, Bibike, Ariyike mais aussi les frères Peter et Andrew. Ceux-ci tombent dans la pauvreté du jour au lendemain. Pour ces quatre enfants issus de la classe moyenne nigériane, ce qui hier semblait acquis devient l’objet d’une lutte constante.
Abandonnés par leurs parents, ils se réfugient chez leur grand-mère et tentent de survivre comme ils le peuvent à Lagos, ville âpre et convulsive. Si la ville est difficile pour tous, elle est particulièrement cruelle et compliquée pour les deux sœurs. Être une femme au Nigéria, c’est avant tout être considérée comme une proie pour les hommes mais aussi pour la religion.
L’ouvrage est construit de manière assez classique puisque le récit alterne les voix des quatre membres de cette famille entre 1995 et 2015, sans forcément garder des repères chronologiques entre les récits. Evidemment, c’est le témoignage des deux jumelles qui s’avère être le plus révoltant, tout simplement car ce qu’elle nous décrive les concerne mais cela concerne aussi la condition féminine au Nigéria. Il est terrible de voir (même si ce n’est pas vraiment une surprise) comment celles-ci se retrouvent totalement déconsidérées (le mot est faible), soumises à des violences sexuelles dès leur plus jeune âge.
L’ouvrage nous montre en même temps des parcours de vie différents, notamment pour les jumelles qui vont faire des choix différents. Les deux frères, de leur côté, sont marqués par cette société nigériane qui met en avant l’homme, à tous les niveaux. Même si l’Islam est la religion dominante au Nigéria, c’est bien la religion chrétienne qui brille par son hypocrisie vis-à-vis des femmes, religion critiquée par l’auteure. Maintenant, l’histoire récente autour de Boko Haram et des enlèvements de jeunes filles qui sont violées montre que la religion musulmane est aussi très patriarcale.
Alors voilà, on sort un peu groggy de cette lecture tant l’écriture tranchante et sans compromis de l’auteure nous dévoile une société nigériane particulièrement brutale à l’endroit des femmes. Pas totalement pessimiste concernant l’avenir, il dévoile quand même une lueur d’espoir, portée par des valeurs familiales et la volonté de certaines de pouvoir s’émanciper. C’est donc un très bon premier roman que nous propose Tola Rotimi Abraham. |