Les américains de Calexico sont de ces groupes qui font l'unanimité dans l'équipe de Froggy's Delight. Plus précisément l'unanimité moins une voix, puisque Thierry s'abstient, répétant en boucle «"C'est quoi ces zics qui utilisent la même gamme mi mineur pour chaque morceau, boah ?".
Toujours est-il que lorsque le rédac'chef annonce le reportage à la Flèche d'Or, ça crapote dans l'assemblée, ça joue des coudes dans les rangs. Romain prend une tête d'avance, Rikeu joue la corde.
Toute la bande est en train de se coller sur la tronche quand le rédac'chef tape du poing sur la table.
BAM !
"- Si c'est comme ça alors c'est moi et la rédac'chef qui le feront ce reportage".
On se regarde tous, penauds.
"- Mais, mais, mais"
Des gosses.
Tout ça pour Calexico.
Alors quand la rédac'chef me dit que je peux la remplacer, c'est avec plaisir que je cours rejoindre David (le rédac'chef) à la Flèche d'Or.
*
Lorsque nous arrivons dans la salle, il y a encore peu de monde.
Joey Burns traîne, les paluches dans les poches, saluant gentiment les personnes qu'il croise.
Pas le temps de compter une, deux, que David se trouve déjà à serrer la pince du leader de Calexico.
Bon.
Nous causons de Shanon Whright, de Yann Tiersen, de Clermont Ferrand et bien sûr de notre auvergnat préféré, Jean-Louis Murat, qui traîne une casserole en plomb dans ce beau pays qu' est l'Arizona.
Quand Joey rejoint un ami, nous sommes chauds, impatients, alignant pinte sur pinte alors que le parterre d'huiles se gratine chaque minute un peu plus.
Mais passons aux choses sérieuses…
*
Joey Burns et John Convertino montent sur la scène de la Flèche d'Or vers vingt heures quinze, en face de quelque trois cents heureux auditeurs.
Avec son jean et son pull à col rond laissant dépasser les deux langues de sa chemise de bûcheron orange, Joey paraît détendu et concentré. Un petit pupitre se trouve devant lui où sont posées les textes des chansons.
John semble ailleurs comme d'habitude, rêveur, attendant le signal de son ami.
Joey saisit sa guitare acoustique et commence par une ballade calme sur laquelle se greffe une rythmique lente.
Et là, nous partons à la découverte du nouvel album Garden Ruin qui sort le 4 avril 2006, envoûtés par la voix caressante de Joey Burns et son impressionnante technique de la six cordes – ses doigts glissent le long du manche comme ceux d'un pianiste virtuose sur un clavier -, emportés par la justesse des frappes de John Convertino.
Sur les treize titres joués ce soir-là, quatre nous sont familiers : "Quattro", une version époustouflante de "Into the blue" (Feast of Wire), "All the pretty horses" (Aerocalexico) et un morceau de Spoke dont j'ai oublié le titre.
Les neuf autres morceaux, qui seront sur Garden Ruin, nous sont parfaitement inconnus. Dans cette collection d'inédits, il y a bien sûr des titres très calexiquiens, mélange de country énergique, de rock, de folk inspiré qu'on devine encore plus relevé sur disque puisque le groupe y est en entier.
Mais pas seulement.
Certains morceaux ont un son résolument nouveau et explorent des contrées musicales inédites pour les arizoniens. Le ton se durcit, la guitare de Joey se fait noisy, presque hard-rock, quand il troque sa Takamine noire pour sa quart de caisse rouge (à partir du sixième titre). Garden Ruin paraît ainsi très épicé à certains endroits… (on murmure dans la salle que Jean-Louis Murat a ajouté plusieurs louches de tabasco à la Corona des américains).
Enfin, il y a ce passage très jazzy old school, légèrement teintée de nostalgie.
Quand Joey Burns annonce le dernier titre, nous sommes impressionnés, soufflés, impatients d'écouter Garden Ruin.
En tous cas, qu'il s'agisse de berceuses ou de condiments, la musique de Calexico nous transporte encore une fois devant cette montagne imposante qui fait barrage au désert rougeoyant et dorée, nous laissant seuls imaginer ce qui peut exister derrière ce massif imposant. |