Pierre Bonnard : L'intimité du monde
D'expérience esthétique en expérience esthétique, l'accumulation des images dans la mémoire émousse les capacités d'étonnement.
En nous proposant un parcours singulier dans la production du peintre Pierre Bonnard, le Musée d'Art moderne de la Ville de Paris (MAM), nous permet de retrouver un champ vierge et renouvelé où nos sensations les plus usées se régénèrent en une nouvelle expérience.
Bonnard possède le don de nous présenter une vision du monde toujours neuve. C'est un don très subtil. En bon connaisseur du terrain qu'il nous propose de visiter, il commence par nous emmener de lieux en lieux, de paysages en paysages.
Mais cette invitation est circonscrite à un cercle restreint de lieux, les lieux de son intimité, des lieux où l'intensité du sentiment de vivre atteint une floraison totale et sans limite.
Tout l'intérêt de la peinture de Pierre Bonnard est de nous faire pénétrer l'essence des lieux, du lieu car il n'y en a pas d'autres. Ce sont les lieux de l'intimité du corps, telle cette petite salle de bains, toujours la même, avec Marthe, son épouse, un lieu où la corporéité est perçue comme l'élément d'un tout. Et l'unicité de ce tout s'offre à nos yeux émerveillés par des jeux de couleurs vibrantes.
Chez Bonnard tout a une vie. Une vie riche, immanente, intense. Le peintre n'exerce pas, ne nous soumet pas à un dogme mais nous montre la richesse intrinsèque de la vie. Aucun objet, aucune production de la nature n'est absente de ce courant lumineux qui entraîne la Création vers une finalité qui nous échappe. Bonnard participe de ce courant.
Sa vision du monde est réelle, les couleurs sont vraies car animées. La place qu'il accorde à l'homme dans ses paysages est à sa place exacte, cohérente avec un tout, holistique, à ce point pensé, que dans bien des toiles les êtres humains se distinguent à peine de l'ensemble de la composition. Car l'oeil de Bonnard est focalisé sur ce qu'il voit. La perfection des cadrages est celle du témoin attentif.
La touche, l'art de guider la main et d'appliquer les couleurs, est un geste silencieux qui est comme le passage obligé dans la compréhension de ce qui s'offre si modestement à nos yeux mais auquel nous ne prêtons jamais attention et qui pourtant est d'une richesse inouïe.
Cette richesse, cette intimité du monde, Pierre Bonnard nous l'offre un court instant mais ce court instant a une force de complétude à laquelle il est difficile de résister. |