Friends That Break Your Heart
(Republic / Polydor) octobre 2021
Mickaël Mottet : La découverte du dernier James Blake, à l'instar et deux ans après celui d'avant, risque de décevoir les amateurs de la complexité ombrageuse des deux précédents. Blake l'avait pourtant annoncé en ouverture de Assume Form : "I'll leave the ether". C'est donc dans la continuité de ce dernier que Friends That Break Your Heart se glisse (le premier mot prononcé est d'ailleurs "And").
On y retrouve le tropisme Broadway de Assume Form (ou plutôt West End, Blake ne se départissant jamais de sa britannitude) notamment dans les chœurs, souvent déformés par des filtres et des pitcheurs. Le chanteur anglais a des petits amis sur l'épaule, des petits James Blake costumés qui reprennent ses fins de phrases comme pour alléger le message.
C'est peut-être cette légèreté du propos qui chagrinera les fans de torture. OK, on n'est plus dans la majesté acide de The Colour In Anything, mais il serait un peu injuste de lui reprocher d'aller mieux, non ?
Chasser ses propres démons et en faire une BO n'est pas un crime. D'autant plus quand on est assez malin pour faire un disque comme celui-ci, certes assez peu épais dans son premier tiers, mais dont le ton se sexualise soudainement au détour de "Frozen" : les trois morceaux qui suivent alors sont des sommets, notamment grâce au talent des invités vocaux (JID et SwaVay) dont Blake triture ludiquement le rap.
Friends That Break Your Heart est donc un album malin, qui prend son temps et qui est toujours un aussi bon coup, avec juste quelques années de plus.
Gilles Deles : Il y a un paradoxe Blake, voire deux en un.
Chaque artiste court le risque de devenir son propre stéréotype.
Pour James Blake c’est le cas dans cet album quand il est "expérimental" ou minimal disons et plus inventif à présent quand il fait de la pop.
Mais ce danger si bien connu prend une connotation particulière dans son cas car le paradoxe du stéréotype pourrait figurer dans les termes mêmes = à quoi bon être maximaliste et extrémiste dans le minimalisme. Le premier titre de l’album est à ce titre révélateur, comme une sorte de pied de nez à sa propre "tradition".
Les fantômes sont comme une influence, et devenir est un destin, pas une fatalité, mais plutôt une vertu sans causalité qui aère la voix.
L’avenir de Blake sera décisif pour inventer encore. Mon émotion me dit que ses échardes me manquent mais que je préfère aussi cette tendresse à tout forçage ou artificialité.
Mickaël Mottet : La tendresse, oui, c’est exactement ce qui est arrivé à James Blake. D’ailleurs, son histoire musicale commence à pouvoir se lire à travers celle de son vibrato. Absent au départ, car sa musique était instrumentale, puis fantomatique car peut-être difficile à assumer, ce vibrato digne d’un mellotron naît, frappant et sexy, dans sa reprise de "Limit to your love" (Feist). Après ce tournant, le vibrato de Blake devient maîtrisé, virtuose, limite caricatural jusqu’à "The Colour In Anything". Et depuis deux albums, cette signature vocale adulée autant que détestée se fait plus douce, moins forcée.
Aujourd’hui, le vibrato de Blake est tendre, naturel, mais il serait sans doute faux de le croire plus traditionnel : tout comme la pop sensuelle qu’il travaille d’un album à l’autre, celui-ci est sans doute loin d’avoir terminé ses mutations. C’est ce qui le rend passionnant.
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