Réalisé par Juliet Berto05 (Sortie 5 janvier 2022 - 1ère sortie 20 mai 1981). Avec Juliet Berto, Robert Liensol, Jean-François Stévenin, Paul le Person, Anna Prucnal, Jean-François Balmer, Patrick Chesnais, Nini Crépon, Eddie Constantine, Bernard Lavilliers et Henri Bussière.
Sur les vieux écrans de 68
Vous étiez Chinoise ou mangeuse de frites
Ceux qui se souviennent des "Merveilles de Juliet" la chanson d'Yves Simon, à l'époque où il appartenait à la "nouvelle chanson française", n'ont pas oublié Juliet Berto et ont certainement vu "Neige", le film choral - l'un des premiers du genre - réalisé à deux voix par l'égérie de Jean-Luc Godard et Jean-Henri Roger.
Les autres découvriront une proposition de cinéma, comme on dit désormais qui n'a pas eu beaucoup de descendance, mis à part le ""remake" qu'en a fait Karim Dridi avec "Pigalle". Pigalle, c'est le personnage de ce film, avec en écho la chanson de Bernard Lavilliers, "Pigalle la blanche" qui parcourt ce film nocturne mais lumineux.
Auberge espagnole multicolore, "Neige" de Juliet Berto et Jean-Henri Roger est un voyage dans un temps où le quartier Pigalle-Barbès n'était pas encore dans une léthargie sinistre et vivait sa vie de quartier populaire, fier de sa pauvreté et de sa marginalité.
On n' y trouvait pas encore au centre des boulevards des WC Decaux et des parkings à velib, mais des baraques foraines, des stands de tir, des stripteases pour travailleurs immigrés et des Mme Irma prévoyant des avenirs pas très longs. Le Trianon était devenu un cinéma et l'Atlas se qualifiait de "seul salle homo de Pigalle".
C'est le privilège des films qui s'intéressent sérieusement à leur environnement : quarante ans après, on y découvre le charme de ce Paris révolu avec ses prostitué(e)s et ses travestis, ses bars crasseux d'avant les fast-food et toute une faune hétéroclte.

Tourné souvent à l'arrache, sans prévenir les badauds et les chalands, qui regardent à l'arrêt les scènes qui ont lieu parmi les rayons de Tati ou les manèges et les autos tamponneuses, "Neige" de Juliet Berto et Jean-Henri Roger a parfois le charme désuet du "fantastique social" à la Carné-Prévert. Evidemment ici pas de décor de Trauner, mas une photo de William Lubtchansky couleur qui vaut le noir et blanc d'Henri Alekan.
Cette parenté, un peu étonnante de la part d'une actrice dite "Nouvelle vague", on la retrouve aussi dans la distribution, avec Henri Bussière, le cher "Bubu", dans l'une de ses dernières apparitions, et qui finissait ainsi son demi-siècle de traversée du cinéma français... Et puis, en parallèle, comme dans une course de relais, la présence de tous ces acteurs qui eux partaient ici pour occuper les quarante prochaines années de cinéma hexagonal : Jean-François Balmer, Patrick Chesnais, Jean-François Stévenin...
On n'oubliera pas non plus le personnage de faux-vrai prêcheur de Robert Liensol, l'acteur antillais qui débuta sa carrière dans les Nègres de Genet et l'acheva en faisant la voix du grand-père de Kirikou. Pas plus que celle de Nini Crépon, première figure trans du cinéma français qui mériterait d'être redécouverte.
Ecrit par Marc Villard, "Neige" de Juliet Berto et Jean-Henri Roger est une excellente série noire qui réveille d'entre les ombres une belle personne. Il faudra le répéter sans doute encore plus d'une fois : Juliet était une comédienne écorchée vive, si vibrante d'émotion qu'elle ne mérite pas l'oubli. |