Ce qui est bien avec les Froggy’s, c’est la diversité des propositions. Au détour d’une liste d’albums à chroniquer, on choisit, et pour peu que ce jour-là, on ait l’âme buissonnière... on découvre une pépite. Au hasard, un titre nous appelle et souvent, bien nous en prend.
C’est ce qui m’est arrivé en croisant l’album Derrière les paupières de Rouge. La belle surprise de ce début d’année, pour un album, certes, sorti en 2021. Mieux vaut tard que jamais, surtout pour cette belle œuvre.
Rouge est un trio de jazz emmené par Madeleine Cazenave au piano, colonne vertébrale du groupe. Elle a eu un parcours classique tout en développant ses talents de compositrices et d’improvisatrices… Elle a de nombreuses cordes à son talent, de multiples projets. N’hésitez pas à aller jeter une oreille à son site. En l’écoutant, on pense à Keith Jarrett, Nina Simone, E.S.T., Chick Corea, Satie… autant de noms qu’on peut retrouver dans sa biographie, avec d’autres, comme maître.sse.s à jouer et sources d’inspiration. J’ajouterai aussi Vanessa Wagner ou Steve Reich pour l’art de développer des motifs…
Madeleine Cazenave est une pianiste d’exception qui oscille entre retenue et chevaux lâchés. Pour l’accompagner Derrière les paupières : Sylvain Didou à la contrebasse, au talent et à l’univers très riche et éclectique, Boris Louvet à la batterie, lui aussi très polyvalent (il peut osciller entre jazz et métal en passant par l’électro). C’est la magie du power trio, qui fonctionne aussi bien en rock, qu’en jazz.
De leurs parcours variés, nourris, aériens et sensibles, tous les trois nourrissent un album qui porte bien son nom : il s’en passe derrière les paupières closes. 6 titres – 45 minutes d’un voyage où le temps se suspend.
"Petit jour" est une belle ouverture qui nous rappelle, comme le disait Gainsbourg, que le piano est un orchestre à lui tout seul. Pour le début de ce parcours, le piano est arrangé, préparé (regardez les vidéos à ce sujet où Madeleine Cazenave scotche certaines cordes pour donner de nouvelles couleurs à ses sons – comme si elle creusait l’instrument, en ajoutant des sons inhabituels à la pureté de l’instrument acoustique). Et la suite développe ce récit musical, entre pirouettes, art du riff et de la ritournelle que l’on retient. L’accompagnement de ses complices, comme parfois le funambule, est subtil et les arrangements toujours légers et aériens.
L’orient n’est pas loin, sur le sublime "Etincelles". L’électro-pop s’invite avec le début magistral de "Brumaire". Suit une fausse accalmie avec "4 %" au titre énigmatique.
Et enfin "Cavale" est comme un nouveau départ, ou la fin du voyage, en douceur et subtilité, avec toutefois une belle envolée mais on part comme sur la pointe des pieds pour garder encore des traces de ce voyage.
Derrière les paupières est un album à emmener avec soi, dans le grand nord ou le désert, et jamais trop loin de ses oreilles.