Réalisé par Alice Diop. France. Documentaire. 1h57 (Sortie 16 février 2022).
"Nous" d'Alice Diop aurait pu s'intituler "Ma France" et ce n'est pas pour rien que la belle chanson de Jean Ferrat portant ce titre conclut son film.
Composé de douze tableaux apparemment sans rapports les uns avec les autres, "Nous" est une promenade pensée tout au long de la ligne B. Alice Diop y filme les siens, à l'image de sa sœur infirmière qu'elle suit dans sa tournée chez des mamies bien françaises.
Elle retrouve aussi sa mère qu'elle a saisie furtivement avec sa première caméra à l'époque où, maîtresse de maison recevant d'autres femmes en boubous dans leur HLM, elle n'avait le temps que de passer la tête dans le champ de l'appareil de sa fille.
On verra plus longuement son père et de jeunes banlieusards de cité écoutant Edith Piaf et pas du rap, des garçons en plein farniente allongés pour profiter de ses rayons de soleil qui ne font pas de différences.
La jeune réalisatrice, qui n'en est pas à son coup d'essai, ne se contente pas de filmer ces "gens de peu" qu'elle connaît et s'intéresse à d'autres minorités, comme les Royalistes saisis à la Basilique de Saint-Denis en pleine messe à la mémoire de Louis XVI, en train d'écouter un texte du roi guillotiné qui étonnera par sa qualité humaine. Pareillement, elle suit une chasse à courre à Fontainebleau.
Tout cela sans l'ironie habituellement présente quand on s'intéresse à cette survivance féodale. Alice Diop a le regard bienveillant qu'elle ait pour sujet un jeune garçon participant sans doute à sa première chasse ou un mécanicien auto malien en train d'ausculter un moteur. Son montage est si "doux" qu'on n'est jamais choqué par l'enchaînement de séquences si dissemblables.
D'entrée, elle révèle et honore ses sources : "Je dédie ce film à l'écrivain François Maspéro (1932-2015). Son livre "Les Passagers du Roissy-Express" m'a appris à voir et à aimer ce que j'avais sous les yeux"
En visionnant "Ma France" d'Alice Diop, on comprend très vite qu'elle a eu raison de se mettre sous le patronage de François Maspéro et d'appliquer à l'écran un traitement similaire à celui qui avait donné un essai littéraire qui a fait date.
Peut-être que l'oeuvre d'Alice Diop aura la même postérité. En tout cas, on n'oubliera pas le passage où elle se rend chez l'écrivain Pierre Bergounioux et où il accepte de lire quelques pages de ce "Carnet de notes" voué, lui aussi, à survivre à son auteur. On n'oubliera non plus son arrêt au camp de Drancy et la lecture de quelques lettres ou mots de déportés partant pour la nuit et le brouillard.
"Nous" d'Alice Diop est un "puzzle" composé de morceaux de mémoires et de vies. Ce rêve d'une harmonie universelle a "ce goût du bonheur qui rend la lèvre sèche", comme le chante Jean Ferrat dans le générique final.
Un ton qui répare et apaise à l'heure où tout n'est que bruits et fractures inutiles. |