Altiplanos, le 14ème album de Pierre Bensusan est sorti en France le 20 février 2006.
Rencontre d'un guitariste virtuose. Pierre, tout d'abord toutes mes félicitations pour ce nouveau disque. Je suis très fortement surpris, et subjugué, par la cohérence de l'ensemble des compositions, qu'en est-il des intentions initiales qui ont présidées à la création de ce dernier disque ? Pierre Bensusan : On ne peut pas à proprement parler d'intentions initiales. Ce sont plutôt des élans qui me font suivre des chemins d'évolution. Ne pas refaire "Intuite", (l'album d'avant) était une des données, mais "Intuite" m'a amené vers "Altiplanos", l'étape suivante. Quand je me mets à l'écoute, loin de l'instrument, j'entends les musiques s'enchaîner toutes seules et se répondre. Mon travail consiste alors à saisir ce sentiment, sans l'enfermer, et à cultiver mon aptitude à fixer des éléments dans un premier temps puis, par la suite, leur donner de l'air, de la chair. En sachant qu'une fois qu'une musique est écrite ou qu'un album est réalisé, il commence une nouvelle vie, entre autres, par l'écoute des autres, le son et ses couleurs, continuant de vivre sur scène et de changer. Je tiens le plus possible, et en fonction de mes aptitudes, à être présent et au service de ces changements. D'où mon désir profond de consacrer du temps à l'écriture et à l'improvisation.
On sent dans ce disque l'expression d'une très grande maturité en terme de capacité à exprimer musicalement des idées et des sentiments. Cette expression semble transcender une approche simplement sensible, au profit d'un art qui sublime nos inhibitions les plus immédiates. Question directe: où allez-vous chercher tout ça ?! Où allez-vous puiser ce que vous nous offrez ?
Pierre Bensusan : Il y a l'aquarium, avec tous les autres, la sensation d'être relié, les rencontres, les autres sons, les coups de foudre pour d'autres musiques, puis le retour dans ma grotte, avec le moment où tout cela retombe, se décante, s'oublie et se rappelle à moi, parfois après des années d'incubation. J'ai un souci constant qui n'est, non pas de jouer dans un style, ni citer d'autres musiciens, mais plutôt de reconnaître ce qui correspond à mon univers. En utilisant une "manière" telle une signature, mais en affinant ma "façon" qui bouge au fil du temps, sans renier mes amours. Il y a aussi des moments privilégiés, seul chez moi, ou sur scène, où tout coule de source et où je me sens en prise direct avec le flot.
J'ai eu le plaisir d'assister au concert que vous avez donné à "Aux tréteaux de Touques", à côté de Deauville, en 2004. Puis-je dire que je retrouve avec plaisir certains des morceaux que vous y aviez joué. "Altiplanos", votre dernier disque, va encore plus loin dans la musicalité et dans l'art de pratiquer la guitare. Comment ressentez-vous cet instrument, pour faire de celui-ci un outil au service de vos intentions ?
Pierre Bensusan : Justement, je le ressens comme un support qui devient de plus en plus souple et qui me rend beaucoup de ce que je lui donne. J'aime l'expression ene: "toucher la guitare", le jeu implique la sensualité. C 'est un outil de transformation concret et transparent. Je constate que les meilleurs moments que je passe sont ceux où j'oublie que je "fais" la musique, mais que je deviens celui qui l'écoute. On pourrait dire la même chose pour tous les arts.
Vous jouez en "accord-ouvert" ou "open-tuning". A l'écoute de votre musique, rien n'est fermé, c'est un clin d'oeil, mais il y a-t'il une relation entre cette façon d'accorder votre guitare (ré, la, ré, sol, la, ré ) et ce que vous créez ?
Pierre Bensusan : Certainement au départ, avec beaucoup de chemins de doigts qui se sont construits autour de cet accordage – propice à l'Orient, au bourdon, à la mélodie, au recueillement et au silence. Aujourd'hui, j'ai complètement intégré cet outil dans ma gestuelle et ressens, de plus en plus, que je m'exprime sans penser un instant que je joue dans un accordage différent de la plupart des autres guitaristes. C'est plutôt une démarche des sens qu'une démarche analytique. Même s'il y a une part d'analyse, celle-ci s'ajoute mais n'est pas la source.
Quelle importance accordez-vous au monde, on sent dans vos choix esthétiques et musicaux, une attention particulière aux autres ?
Pierre Bensusan : Le monde c'est l'aquarium dans lequel on est tous. J'aime bien voir toutes les espèces de poissons. Il y a de tout, des prédateurs, des poissons pleins de couleurs et des dauphins… nager là dedans est parfois un grand plaisir, parfois c'est la tempête, mais je connais une petit île…
Pour ceux qui ne connaissent pas votre parcours musical, pourriez-vous en quelques mots nous dire quels en ont été les étapes marquantes?
Pierre Bensusan : Arrêt des études à 16 ans, premier album à 17 ans, Grand Prix du Disque du Festival de Montreux à 18 ans. Immersion dans les années Folk des années 70. Premier album de compos en 1981, Solilaï, Prix du Naird aux USA. Carrière intensive aux USA, Canada dès 1979, beaucoup de présence à l'étranger. Rencontres avec Didier Malherbe, John Renbourn, Larry Corryel, Philippe Catherine, Bobby Thomas, Jordan Ruddess, Higelin, Philippe Val, Nana Vasconcellos, Harry Dean Stanton, Pierce Brosnan, David Crosby, Susan Vega, Pete Seeger, beaucoup de musiciens Français, etc.
Aujourdhui, même si je n'ai toujours pas touché le grand public, plus de 320 000 albums ont été vendus et Steve Vai (Ex Franck Zappa, etc.) m'a signé sur son label Favored Nations, pour une distribution mondiale. Intuite a reçu aux USA, en 2002, le Grand Prix de l'AFIM pour le "Meilleur Album Acoustique Instrumental"...Altiplanos suit sa route et bien sûr, je pense au futur que je construis à chaque instant et à chaque concert. C'est de chanson qu'il va s'agir. La guitare se taillera quand même la part du lion.
En dehors de la guitare, quelles sont les passions qui vous habitent, les philosophies qui sont les vôtres ?
Pierre Bensusan : En dehors du fait que mes 5 sens me servent à rester à l'écoute, j'adore la lecture, roman, poésie, livres d'histoire, biographies, géo-politique, le cinéma. Je n'ai pas de principe philosophique particulier, chaque jour m'apporte, sur un plateau, ce dont j'ai besoin pour apprendre, profiter, goûter la vie.
Je vous remercie de vous être prêté à cette entrevue. Tous mes voeux pour ce splendide nouvel album, |