Ce qui est fascinant avec la littérature, c’est qu’elle a la capacité de nous emmener vers des territoires très éloignés, aux quatre coins du monde sans avoir sortir de chez soi. Depuis leur création, les éditions La Croisée ont pris soin de nous embarquer autour du monde en nous proposant régulièrement des ouvrages d’auteurs de nombreux pays. J’y ai découvert des auteurs nigérians notamment et une littérature africaine très plaisante. Il récidive avec un nouvel auteur africain que je ne connaissais pas et un très bel ouvrage dans la lignée des précédentes publications proposées. Voilà donc venu un certain Sulaiman Addonia qui sera en France en mai pour la promotion de son livre.
Sulaiman Addonia a fui l’Érythrée dans son enfance. Il a passé sa jeunesse dans un camp de réfugiés au Soudan puis a vécu en Arabie saoudite avant d’arriver à Londres pour y poursuivre ses études. Son premier roman Les Amants de la mer rouge (Flammarion, 2009) a été traduit dans plus de 20 langues. Les écrits de Sulaiman Addonia sont publiés dans LitHub, Granta, New York Times, De Standaard, Passa Porta, Freeman’s… Sulaiman Addonia vit à Bruxelles, où il a créé le Asmara-Addis Literary Festival (In Exile) qui se tiendra du 29 au 31 mai 2022.
Le silence est ma langue natale a été finaliste du Lambda Literary Award et du Orwell Prize for Political Fiction. Il est en cours d’adaptation cinématographique. Les éditions La Croisée ont eu le nez creux de le publier, on devrait entendre parler de ce livre, tant il le mérite.
L’histoire se déroule évidemment au Soudan. La nuit est tombée quand Hagos et Saba, frère et sœur, arrivent dans un camp de réfugiés au Soudan avec leur mère. Ils n’ont plus rien et ont fui leur pays en guerre, mais leur cœur bat toujours : Hagos, muet et fragile, et Saba, au caractère farouche, vont trouver l’amour au milieu des ruines. C’est dans ce monde à part, lieu condensé d’humanité, que frère et sœur vont briser les tabous, renverser les genres et illustrer un conte d’amour sensuel au milieu du chaos.
L’auteur nous offre une plongée fascinante dans ce que peut être un camp de réfugiés, ici dans les années 80 autour de populations qui fuient des massacres perpétrés en Erythrée lors d’une guerre pour l’indépendance. Au milieu du désert, se retrouvent des populations variées, de différentes classes sociales, parlant des langues différentes. On apprend de nombreuses choses sur ces populations, leurs traditions, leurs cultures, leurs modes de vie aussi.
Et puis il y a ce titre, que je trouve magnifique, Le silence est ma langue natale, au cœur de l’ouvrage. Cette langue, qui est le fil conducteur de l’ouvrage, celle qui permet aux personnages de s’exprimer, qui doit faire face au silence souvent imposé par nos sociétés vis-à-vis de ces camps de réfugiés. Cette langue aussi parfaitement maîtrisée par l’auteur qui écrit superbement bien, réunissant au passage à nous faire rire souvent au travers des réflexions de certains personnages.
Par ce roman élégiaque à contre-courant des préjugés, Sulaiman Addonia redéfinit la littérature de l’exil et célèbre avec modernité l’amour sous toutes ses formes. Dans la lignée de Floraison sauvage d’Aharon Appelfeld, Le silence est ma langue natale bouscule nos repères et nos codes, et par le pouvoir de sa langue, illumine l’insupportable réalité. |