Voilà une des surprises et une des belles lectures de cette rentrée littéraire que celle proposée par Anthony Passeron avec son ouvrage Les enfants endormis, publié aux éditions Globe. Anthony Passeron est né à Nice, il est enseignant dans un lycée professionnel et son ouvrage est un premier roman.
Pour Anthony Passeron, "écrire, c’était la seule solution pour que l’histoire de son oncle, l’histoire de sa famille, ne disparaissent pas avec eux, avec le village. Pour leur montrer que la vie de Désiré s’était inscrite dans le chaos du monde, un chaos de faits historiques, géographiques et sociaux. Et les aider à se défaire de la peine, à sortir de la solitude dans laquelle le chagrin et la honte les avaient plongés".
Quarante ans après la mort de son oncle Désiré, Anthony Passeron décide d’interroger le passé familial. Evoquant l’ascension de ses grands-parents devenus bouchers pendant les Trente Glorieuses, puis le fossé grandissant apparu entre eux et la génération de leurs enfants, il croise deux histoires dans son ouvrage : celle de l’apparition du SIDA dans une famille de l’arrière-pays niçois (la sienne) et celle de la lutte contre la maladie dans les hôpitaux français et américains.
Superbement écrit, très juste dans le ton et dans la description d’une époque, l’auteur parvient avec brio à mêler le parcours et le destin de son oncle héroïnomane frappée par le Sida et celui d’une époque durement touchée par cette nouvelle maladie. Il nous embarque à Amsterdam où son oncle, lors d’une de ses virées va tomber dans le piège de la drogue, qui lui fera attraper le Sida.
Il nous embarque aussi à l’intérieur de sa famille, qui vont nier pendant longtemps la réalité des difficultés de Désiré, trop difficile à accepter et peu en adéquation avec l’image que veut véhiculer un couple de bouchers à la réputation de commerçants exemplaires, une réputation qu’ils ont construit sur la durée en partant de rien.
La grande qualité de l’ouvrage, au-delà de l’écriture et de l’histoire qu’elle raconte vient de l’ambition d’Anthony Passeron de ne juger personne, ni son oncle tombé dans la drogue puis dans le SIDA, embarquant dans sa mort son épouse et sa fille ni les parents de Désiré, touché par la honte et le déni face à la séropositivité de leur fils. Désiré était le fils aîné de ses parents qui avait quatre enfants, il était même le fils préféré, le fils choyé mais aussi celui en lequel on attendait le plus, celui qui devait montrer l’exemple. Il avait tout selon eux, pour avoir une vie paisible, dans la continuité de celle des parents et de la boucherie. Désiré n’a pas fait ce choix, nous raconte Anthony Passeron avec une pudeur remarquable.
A cela s’ajoute le formidable récit que l’auteur nous fait des années SIDA, de la lutte des travaux français et américains pour identifier ce nouveau virus ravageur, de leur action pour récupérer de l’argent pour la recherche et pour tenter d’enrayer cette maladie. Il nous montre une réalité opposée, celles des médecins qui à l’époque tenter d’alerter le monde sur cette maladie pour éviter sa propagation et celle des malades qui faisaient tout pour garder secret la maladie qui les frappait.
Avec cet ouvrage, l’auteur évoque, dans ce premier roman de filiation, la solitude des familles à une époque où la méconnaissance du virus était totale, le déni écrasant, et le malade considéré comme un paria. Il nous raconte l’histoire de ces enfants endormis, touchés par l’ivresse de la drogue, qui voulaient une vie différente de celles de leurs ainés, anéantis par le SIDA.
Les enfants endormis est un magnifique ouvrage, une des plus belles lectures de cette rentrée littéraire qu’il vous faut absolument lire. |